Juste entre toi et moi - Caroline Dawson
Episode Date: November 20, 2023Caroline Dawson nous accueille chez elle, le temps d’un entretien traversé par sa foi envers le monde. L’autrice du roman Là où je me terre parle de son amour pour les bibliothèques publique...s, du rôle de Leonard Cohen dans sa relation avec son mari et de son expérience de la maladie.
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Sous-titrage Société Radio-Canada Merci de m'avoir écrit pour me dire que vous étiez content de nous retrouver la semaine dernière avec Grégoire Guchard.
Je vous rappelle qu'on vous accompagnera chaque semaine jusqu'à Noël.
C'est un épisode particulier de Juste entre toi et moi que je vous présente à l'instant.
D'une part parce qu'on ne l'a pas enregistré en studio, mais bien au domicile de mon invité.
C'était donc moi qui étais son invité ce jour-là.
Mon invité aujourd'hui, c'est l'écrivaine Caroline Dawson.
Caroline à qui on doit le livre de poème « Ce qui es-tu »,
à qui on doit aussi le roman à succès « Là où je me terre »,
roman largement inspiré de l'arrivée de sa famille au Québec en 1986,
alors qu'elle n'avait que 7 ans et qu'elle ne pensait vraiment pas
qu'elle devrait un jour quitter le Chili où elle est née.
C'est un roman qui a ému des milliers de Québécois et de Québécoises. Le Québec
a aussi été ému, remué, en apprenant à l'été 2021 que Caroline vit avec un cancer,
un ostéosarcome. Il faut que vous sachiez, je me permets de vous le dire, question de
bien vous mettre en contexte, il faut que vous sachiez que moi aussi, j'ai eu un cancer
de ce genre-là il y a maintenant 23 ans.
J'avais 14 ans. J'étais un
ado. La dernière fois
que j'ai rendu visite à Caroline,
c'était en février dernier, au moment de la
percussion de son livre de poèmes, Ce qui est-tu.
Caroline m'avait ouvert la porte
de sa maison dans son fauteuil roulant,
mais mardi, c'est mon collègue
photographe François Roy qui m'a
ouvert la porte parce que Caroline se trouvait dans son lit.
C'est depuis son lit
qu'elle m'a accordé l'entretien que vous vous apprêtez
à entendre. Voici mon
entretien avec la lumineuse
Caroline Dawson.
Juste entre
toi et moi
ça restera entre toi et moi, ça restera entre toi et moi.
Pour une fois, ça reste entre toi et moi.
Alors, où est-ce que tu nous accueilles?
Dans mon lit, dans ma chambre.
Moi, je ne suis pas avec toi dans ton lit, on peut peut-être le préciser.
Non, tu es sur une chaise pas trop confortable, je pense.
Oui, quand même, ce n'est pas si mal.
Merci de nous accueillir.
Je t'ai dit en arrivant, en constatant que tu étais couché dans ton lit,
qu'on pouvait se rencontrer
à un autre moment, pourquoi est-ce que
tu tenais à ce que
ça ait lieu, quand même, mais pas que tu y
tiens à ce qu'on se rencontre, mais pourquoi
est-ce que tu n'as tout simplement pas
annulé notre rencontre? Parce que ça va
pas si mal que ça. Et parce que
je sais pas, j'ai toujours trouvé que
si j'annule
tous mes trucs parce que j'ai mal,
ça fait en sorte que je ne vis plus ma vie.
Je suis recluse dans la sphère domestique et ça, ça me fait capoter.
C'est un des plus grands drames que les personnes malades vivent,
d'être abandonnées, laissées à eux-mêmes parce qu'on ne peut pas les déranger.
Les gens sont souvent bien intentionnés,
mais n'osent pas entrer en contact
avec les personnes malades parce qu'ils ont peur
de les déranger.
C'est le truc principal.
Je ne suis pas dérangée, mais je pense à toi.
Good.
Je comprends, je pense à toi
et ça vient, oui, tu as raison,
ça vient d'une bonne intention, mais
on est quand même
laissés à nous-mêmes, oui.
Puis, en même temps,
moi, je crée une frontière aussi avec certaines
personnes, plus maintenant, mais à l'hôpital,
parce que, tu sais, accepter des gens
qui rentrent dans ta chambre d'hôpital, c'est accepter
des gens de toi en pyjama, tu sais.
Fait que,
j'avais pas tellement envie d'accueillir tout le monde
dans cet état-là. Puis ensuite, on dirait que ça a fait en sorte que c'est les gens que j'ai pas tellement envie d'accueillir tout le monde dans cet état-là.
Puis ensuite, on dirait que ça a fait en sorte que les gens que j'ai pas accueillis là,
ils ont compris que je voulais pas, fait qu'ils sont plus là.
On peut préciser qu'aujourd'hui, tu portes non pas un pyjama, mais une belle robe.
Merci.
Merci.
T'écris dans « Ce qui es-tu, ton recueil de poèmes T'écris que
Tu te sens lorsque tu écris
Comme dans un cours d'éducation physique
Au secondaire
Pourquoi?
Parce que c'était rough
Les cours d'éducation physique
Je trouvais ça
C'est des règles qui tout d'un coup
Sont plus les mêmes règles de la vie en société
ou même de l'école.
Donc, OK, on fait deux équipes.
Toi, le meilleur. Toi, le meilleur.
Vous appelez vos amis.
Et là, c'est le stress.
Je vais-tu être appelé? Je vais-tu être appelé?
OK, je n'ai pas été la dernière.
Ce genre de règles, je ne sais pas,
qui me semblent un peu militaires.
Et ensuite, il fallait prouver
continuellement.
J'aimais pas ça.
Même si, maintenant,
j'aime beaucoup le sport. Mais quand j'étais jeune,
j'haïssais ça.
Mais donc, tu as un rapport de ce genre-là avec l'écriture?
C'est que l'écriture, ça ne
vient pas facilement.
Je te dis, l'écriture, ça ne vient pas facilement. Je te dis, l'écriture, ça ne vient pas facilement.
Ce que je veux dire ne sort pas facilement.
Et donc, je dois y travailler tout le temps.
Oui, c'est ça que je dis.
Pourquoi est-ce que c'était important pour toi que ton roman, ton roman a succès?
Là où je me taire.
Ça te fait rigoler que je dise ça?
Oui.
Pourquoi?
Ben, moi, dans ma tête, il y avait mes amis
puis les gens de Le Guélion qui allaient acheter le livre,
c'est tout.
La librairie féministe, oui.
Pardon, oui.
Donc, je pensais pas qu'elle allait se vendre comme ça.
Il y a quelques personnes de plus qui l'ont.
Oui, il y a quelques personnes de plus.
Oui, ta question, donc, est vraiment succincte.
C'est important pour toi qu'il soit écrit simplement?
Oui, extrêmement important.
Je voulais que tout le monde puisse le lire.
Et quand je dis tout le monde, c'est aussi des gens comme ma mère
qui ont le français comme langue seconde
puis qui bûchent à lire.
C'est pas pareil lire dans ta langue maternelle
que de lire
dans une langue que tu comprends, que tu connais.
Et donc, oui, je voulais l'écrire
d'une façon à ce que
les gens, pour qui la lecture
ne vient pas facilement, puissent
arriver à le lire aussi.
J'ai été, j'ai relu
ton roman
afin de me préparer pour notre rencontre d'aujourd'hui.
Puis, j'avais oublié quelle était la première phrase de ton livre.
Est-ce que tu l'as en tête, cette première phrase-là?
Oui.
Peux-tu nous la dire?
J'avais sept ans la première fois que je ne me suis pas tuée.
C'est une phrase très chargée.
Oui. Mais tu nous parles donc, dans ce premier chapitre-là,
de ta foi en la vie, en l'existence.
Oui.
Comment se porte ta foi en l'existence aujourd'hui, ces temps-ci?
Je te dirais qu'elle est plus forte que jamais.
Quand on a le cancer et qu'il y a des enfants,
tu n'as pas le choix.
Tu te lèves le matin et il n'y a pas de...
Il n'y a pas de
question que...
Il y a honte de question que
je ne me lève pas avec eux, que je ne sois
pas avec eux.
Donc ça, je te dirais,
je suis convaincue que je vais
m'accrocher les ongles
dans le mur jusqu'à ce qu'ils me tirent. Ça, je suis convaincue que je vais m'accrocher les ongles dans le mur jusqu'à ce qu'ils me tirent.
Ça, je suis convaincue.
Pour rester en vie.
Tu m'avais dit
lorsqu'on s'est parlé
pour la première fois, lorsque je t'ai interviewé
pour la première fois, c'était à peu près un an
après la percussion de ton livre.
Puis, tu m'avais dit,
je pense que j'en avais même fait le titre de l'article,
« Tu trouvais chanceuse ».
Tu
emploierais encore ces mots-là aujourd'hui?
Oui.
Oui. Malgré tout, là, oui.
Il y a tellement de personnes
qui n'ont pas le
cercle G, qui n'ont pas
le langage médical
comme langage premier.
Mon chum est là,
donc il peut m'expliquer.
Ton chum est pédiatre, c'est ça?
Oui.
Donc, quand l'oncologue,
il explique des choses,
moi, je fais oui, oui, oui.
Puis des fois, tu comprends,
mais tu n'es pas capable
de le répéter aux autres.
Donc, c'est une compréhension très...
Ce n'est pas une compréhension nuancée.
Donc, c'est ça.
Mon conjoint, il peut tout
me réexpliquer, puis avec le temps qu'il faut,
puis il me fait plein de dessins, puis...
Ouais, pour expliquer tout ça.
Donc, je finis par comprendre, tu sais.
Et ça, la plupart des gens, ils l'ont pas, tu sais.
Puis les gens qui ont pas
des aptitudes à la lecture,
point, tu sais, ils imaginent devant
ce langage-là qui est'est pas le nôtre.
Et je me dis, les gens qui n'ont pas un cercle fort
de gens qui sont autour de lui ou d'elle,
t'es largué.
C'est très difficile.
On le dit trop peu à quel point,
même quand on a affaire à des médecins
qui font des efforts de vulgarisation,
comprendre tout ce qu'on nous dit
lorsqu'on est malade, c'est
difficile.
Exact. Puis juste le nombre de pilules
qu'on prend, puis après ça,
il faut parler à la pharmacie, puis appeler là-bas,
puis aller là-bas. Je me dis, mon Dieu,
il y a des gens qui sont comme zéro mobile,
puis qui n'ont personne pour aller chercher les pilules.
C'est...
Ouais, moi, je trouve que j'ai tout un cercle de soutien.
Puis aussi d'être ici,
tu sais, moi, j'ai migré ici.
Donc,
si j'avais pogné ce cancer-là au Chili,
je ne suis pas sûre que je serais en vie.
Ça aussi, ça compte.
Comment est-ce que la littérature
est entrée dans ta vie?
Elle est rentrée quand ma mère
a décidé,
je ne sais pas ce qu'il a pris, mais
c'était comme une des meilleures décisions de sa vie,
je pense. Elle a décidé
de nous amener à la bibliothèque municipale.
On n'avait pas de loisirs
parce qu'on n'avait pas beaucoup d'argent
et pas beaucoup de connaissances
où tu voles.
Donc,
ma mère, elle nous voyait beaucoup devant la télé.
Elle a décidé, donc,
je vais les amener à la bibliothèque
chaque samedi.
Donc, les activités qu'on faisait, c'est le samedi,
la bibliothèque, dimanche, la messe.
La messe, ça durait toute la journée.
Toute la journée?
Non, mais c'était, mettons, de midi
à deux,
toute la cérémonie.
Et ensuite, il y avait dans le sous-sol, l'église latino-américaine.
Donc, ça rend tout ça large.
Donc, la messe en espagnol.
La messe en espagnol, avec un band, un vrai band.
Avec une batterie en avant.
Les messes latino sont plus le fun que les messes comme on les connaît
dans les églises catholiques au Québec.
C'est clair, mais quand tu es une petite fille,
c'est long, longtemps.
Quand est-ce que ça va finir?
La messe dure vraiment longtemps.
Ensuite, c'est le sous-sol.
Et là, ce n'est pas le petit café avec trois biscuits
qu'il y a dans les messes francophones.
Et donc, c'est de la nourriture pour tout le monde.
Et il y a des stands de nourriture partout, partout, partout.
Et les gens achètent, je ne sais pas, des tacos,
des poupoussasses, puis des empanadas.
Ça sent la bouffe à l'église. les gens achètent, je ne sais pas, des tacos, des poupoussas, puis des empanadas.
Ça sent la bouffe à l'église.
Et là, c'est le temps d'aller voir les gens.
« Ah, qu'est-ce que ça va? Comment ça va, toi? » Donc, c'est de la bouffe qui donne envie de croire en Dieu.
Oui, exactement.
Mais quand tu es un enfant, c'est encore le temps de…
« Oh non, maman, on va aller parler à cette madame-là.
Ça dure toujours longtemps. »
Et là, mes parents, ils parlaient aux gens.
Et bon, bref.
Finalement, on partait à la maison, mais on avait passé un bon quatre heures là-bas.
Puis le samedi, tu es consacrée à la bibliothèque.
À la bibliothèque.
Et ça, j'imagine que tu y allais avec davantage de joie.
Oui, avec une grande, grande joie.
Donc, on partait en autobus, ma mère, mon frère et moi.
Puis on arrivait en cinq minutes. Donc, mais tu sais, nous, on prenait l en autobus, ma mère, mon frère et moi, puis on arrivait en cinq minutes.
Donc, mais tu sais, nous, on prenait l'autobus.
Le marché au froid, là, c'était pas une option.
Donc, on prenait l'autobus, puis on allait à la bibliothèque
Hachetaga Maisonneuve.
Et je pense que maintenant, ça s'appelle la bibliothèque Mercier.
Je suis pas trop sûre.
Mais bref, à cette bibliothèque-là,
qui était majestueuse. C'est un édifice magnifique. Mercier. Je ne sais pas trop. Mais bref, à cette bibliothèque-là,
qui était majestueuse.
C'est un édifice magnifique.
Puis quand tu rentres,
il y avait directement à l'entrée des cassettes.
Et donc, tu pouvais fouiller
pour trouver de la musique.
Et cette partie-là était
incroyablement belle,
je trouvais, parce qu'il y avait
comme de la fourrure rouge.
Bref, c'était beau.
C'était beau, genre, dans le centre,
dans ce qu'une petite fille pense
que c'est beau. Et au sous-sol, je trouvais
la partie pour les enfants,
et là, on y allait avec mon frère.
Les bibliothécaires nous reconnaissaient
parce qu'on était là chaque samedi,
tout le temps, tout le temps.
On remettait les livres,
on reprenait des livres.
Et la bibliothécaire gardait des livres pour moi,
souvent, genre des livres.
Puis pas juste, Jean-Caroline,
ça va t'intéresser, c'est genre,
hé, il est sorti le nouveau Rosalie,
je l'ai gardé pour toi.
Donc, oui, c'était un endroit
qui donne beaucoup d'espoir, je pense,
qui fait qu'on avait une activité de 1, mais aussi qui faisait en sorte que j'ai appris à aimer lire. C'est ça, c'est apprendre à aimer lire parce que ça ne vient pas si naturellement que ça pour les enfants. Donc, j'ai appris à aimer. C'est un cadeau magnifique. C'est vrai qu'on dit trop peu
à quel point les bibliothèques jouent un rôle important.
Je devine que ce n'était pas
toutes les familles, ce n'était pas tous tes voisins
dans Schlager qui se rendaient
à la bibliothèque tous les samedis.
Non, pas du tout.
Je pense bien qu'on était à peu près...
Sincèrement,
on n'était pas si nombreux
que nombreuses le samedi
à la bibliothèque
puis il y avait tout
il y avait des coussins
de plein de couleurs
puis il y avait des films qui jouaient
il y avait tout
donc pour moi c'était un endroit
fabuleux
j'avais toujours hâte
tu y vas aujourd'hui
avec tes enfants?
Oui, mais
mes enfants, ils aiment la lecture.
Ils ont appris à aimer lire
trop jeune, j'ai l'impression.
C'est une blague, mais évidemment
qu'on a des livres chez nous
et donc ils aiment lire tout le temps
puis à un point tel que
non, j'aime pas ce genre-là.
Ils reconnaissent les auteurs, les illustrateurs,
les autrices, les illustratrices aussi.
Ils ont des goûts très arrêtés déjà.
Oui, oui, oui.
Ma fille, c'est Marianne Dubuc.
Et mon gars, c'est tout ce qu'a fait Jacques Goldstein.
Il aime beaucoup ça.
Ma fille aussi aime beaucoup les livres de Marianne Dubuc.
Oui.
Il y a quelque chose de magnifique
dans ces livres qui sont
avec beaucoup d'écrits.
Donc, ça laisse place énormément
à l'imagination.
Il y a une affiche de Léonard Cohen au-dessus de toi
dans ta chambre à coucher.
Qu'est-ce qu'il représente pour toi, Cohen?
C'est un cadeau que j'ai fait à mon conjoint.
Je ne sais pas
à l'anniversaire
qu'on a fêté en premier.
Son anniversaire. Parce que Léonard Cohen
a joué un rôle très important dans sa vie.
Mon chum a fait
le service militaire, qui était obligatoire
en Suède à ce moment-là.
Il haïssait ça.
Pas évidemment, mais
il haïssait ça. On présume qu, mais... Non, il haïssait ça.
On présume qu'ils étaient plusieurs à ne pas être enchantés par cette histoire.
Exact.
Et il haïssait tout, tout, tout, tout ce qui entourait ça.
Tu sais, quand il se faisait crier après ou des trucs comme ça,
il était comme...
Mon Dieu.
Puis il répondait, ça me fait pas peur.
Tu peux crier autant que tu veux. »
Et ce jour-là, où il n'en pouvait plus,
il voulait partir chez eux,
il a vu un documentaire de J.R. Cohen
qui disait qu'il était bouddhiste
et ce que ça a fait dans sa vie.
Et mon chum est resté comme...
Je ne sais pas comment dire,
mais il est resté longtemps avec ces mots-là.
Il les a gardés longtemps.
Et donc,
il a décidé
qu'à la fin de son service militaire,
il allait aller au Népal
aider les enfants là-bas.
Et donc, il est parti direct
d'une place à l'autre.
Il est allé au Népal, puis il est devenu bouddhiste.
Puis encore aujourd'hui, il l'est.
De 17 ans, 18 ans
à 44 ans. C'est pas une joke, son affaire. C'est très il l'est. De 17 ans, 18 ans à 44 ans.
Ce n'est pas une joke,
son affaire. C'est très sérieux.
Oui, c'est ça.
En quoi tu crois, toi?
Parce que tu as grandi
dans la foi catholique,
dans Jésus.
J'apprends que...
J'apprends que ton am, l'enrichissus. Esprit. J'apprends que
ton amour est bouddhiste.
Oui.
Où tu te situes
à travers tout ça?
C'est dur.
Puis ça,
j'haïssais ça
quand la...
Je ne sais pas
comment ça s'appelle
son rôle,
mais une jeune responsable
de la foi
dans les hôpitaux
et qui est là
pour parler,
peu importe la...
Oui,
l'accompagnant spirituel.
Oui, exact.
Peu importe la législation que tu as.
Et elle venait toujours, as-tu besoin d'aide?
Je dis non, non, non.
Et elle disait, ah, toi, tu crois en quoi?
Je dis, je ne sais pas.
Je suis désolé de te reposer cette même question.
Oui, donc, non, non, non.
Tu n'es pas comme la madame.
Mais c'est qu'elle revenait toujours.
Puis, tu sais, on se reconnaissait
et elle demandait la même question tout le temps.
Je suis comme, arrête.
– Toc, toc, toc.
– Oui.
Insister, donc, je le sais pas, sincèrement,
parce qu'on se débarrasse pas facilement
d'une éducation catholique si forte.
J'ai beaucoup aimé le livre de Jérémie...
– Jérémie McEwen?
– Oui.
Il appelle à
arrêter de faire semblant qu'on ne croit pas
finalement quand la plupart des gens ont
une espèce de spiritualité
alors que c'est
comme gênant de dire « moi je crois
en toi ». Et je trouvais qu'il y avait quelque chose
de beau là-dedans. Je me disais « c'est vrai,
tu sais,
moi je ne crois pas, mais c'est facile à dire.
Tu sais, ce n'est pas facile
à...
Quand viennent des moments
difficiles, tu m'as prié.
J'ai plein d'amis qui me disaient
« Je n'ai jamais prié avant, mais je vais le faire pour toi. »
Et
moi-même, quand j'ai eu mon
premier enfant, je me dis
« Faites qu'il ne meure pas, s'il vous plaît, faites qu'il ne meure pas. » Je me dis « Faites qu'il meurt pas, s'il vous plaît.
Faites qu'il meurt pas. »
Je me dis « À qui tu parles
quand tu dis « Faites »? »
Je ne sais pas.
Je pense à Dieu.
Et donc, je pense
qu'il faut que je
j'accepte cette part en moi.
Mais, tu sais,
je ne suis pas chrétienne
ou ça ne m'intéresse pas.
Mais oui, il y a une part
de moi qui est là.
Et ce n'est pas le cas de mes enfants.
Puis je me dis, aïe, aïe, aïe.
Il y a une part
qui leur manque un petit peu.
Je ne sais pas.
Je ne sais pas si on est moins bien
sans avoir eu
cette croyance-là,
auparavant.
C'est vrai que ça nous façonne.
Je racontais récemment à ma blonde
que moi, quand j'étais petit,
le soir, avant de m'endormir,
je priais, je parlais au bon Dieu.
Je pense qu'aujourd'hui,
je trouve ça absurde,
mais en même temps,
il y a peut-être quelque chose.
Oui, en même temps,
il y a peut-être quelque chose,
même au niveau, je ne sais pas, de même temps, il y a peut-être quelque chose, même au niveau,
je ne sais pas, de psychologique,
que d'être entendu par quelqu'un d'autre
ou d'avoir l'impression d'être entendu
par quelqu'un d'autre.
Puis quand tu étais petite, est-ce que tu y croyais en
Jesus? Ah oui, absolument.
C'est dur comme fer.
Il fallait que je prie,
je ne sais pas combien de prières, mais une
à mon ange gardien
puis une à Jésus
puis une à la Sainte Vierge
et donc on priait
mais il y en avait des plus croyants que nous
il y avait des enfants qui avaient des noms
leur nom c'était genre
je sais pas
puis il y avait des filles qui avaient
immaculé
c'est des noms lourds àulé c'est des mots lourds à porter
oui c'est chargé comme prénom
donc ouais
c'est Nicolas et Caroline
ça
est ce que tu as vu récemment
la nouvelle que
Télé-Québec avait créé des trousses
de passe-partout
qui vont être remises aux nouveaux
arrivants donc aux enfants qui vont arriver
à l'aéroport Montréal-Trudeau
pour qu'ils apprennent le français
et pour qu'ils se familiarisent avec
la culture québécoise.
En lisant cette nouvelle-là, moi je me suis dit
il y a des gens chez Télé-Québec qui ont lu
le roman de Caroline.
Oui, mais dans
l'article de la presse, je pense
qu'il disait qu'une des madames qui était à la tête de ça,
elle dit, c'est comme dans le roman,
qu'elle a fait le lien direct.
Mais quand j'ai lu la nouvelle, je me suis mise à pleurer.
Je suis une braillarde dans la vie aussi,
mais je me suis mise vraiment, j'avais les larmes pleines d'eau,
puis j'étais là, mon Dieu,
j'ai trouvé que c'est une initiative au-delà de moi.
C'est magnifique.
Il fallait faire ça. Ça, c'est un vrai accueil.
Je t'accueille, tu arrives, tu n'as rien.
Voici, on se donne quelque chose.
Et de façon personnelle,
de me mettre à la place
de ces enfants, je me disais,
ça aurait été...
Je me vois, un petit sac à dos.
Bien heureuse. Parce que pour toi, Passepartout, ça a été... Je me vois, là, tu sais, un petit sac à dos. Bien heureuse.
Parce que pour toi, Parce Partout, ça a été important dans
ton intégration.
Je sais pas si dans l'intégration,
mais dans la perception
que
vous, la Société canadienne-française,
aviez sur nous
ou sur moi.
De dire, tu sais, Ça va être correct ici parce que
ils sont gentils.
C'est le premier
contact. Donc oui,
ça m'a fait beaucoup de bien.
Ta famille et toi, vous avez été accueillis,
tu nous le racontes dans ton roman,
les épreuves, disons, que vous avez
dû traverser.
À quoi ça ressemblerait
un accueil idéal pour
des familles qui
vivent aujourd'hui
ce que vous avez vécu, vous, dans les
années 80?
Des places en garderie
pour ces gens-là, offertes.
C'est votre place en garderie.
Et pendant ce temps-là, que les
parents puissent
apprendre le français.
Ça, c'est un vrai accueil.
Parce que sinon, si on dit aux gens,
oui, il y a des cours de français,
mais il n'y a rien qui fait en sorte qu'ils peuvent y aller à ces cours-là.
Oui, c'est-à-dire que ces cours-là existent,
mais s'il faut gagner sa vie,
puis multiplier les boulots pour arriver à joindre les deux bouts.
Oui, puis que tu as des enfants, puis qu'est-ce que tu fais avec durant le jour?
Donc, c'est tout ça
qui fait en sorte que
aller à des cours
de francisation comme ça,
ça ne rentre pas dans la tête
des immigrants.
Mais ça, c'est du vrai accueil,
je dirais,
qui démontre un réel...
Tu n'as pas besoin de 40 mois.
Ils ne vont pas apprendre le français parfait.
Mais en 5-6 mois,
ils peuvent se débrouiller.
Se débrouiller assez pour demander une job.
Une job qui a un peu plus d'allure
que celle qui aurait eu
au départ.
Comment est-ce que tu as réagi lorsque
François Legault a encensé
ton livre sur
les réseaux sociaux en disant que c'était
une belle histoire réconfortante?
Je le paraphrase, mais à peine.
Oui, oui, oui.
Je n'ai pas aimé ça.
Je me suis sentie instrumentalisée.
Une belle histoire d'une famille
qui ne l'a pas eu facile.
Oui, on ne l'a pas eu facile.
Ce n'est pas faux,
mais on dirait que c'est très résumé.
Oui, c'est très, très résumé.
Oui, je me suis sentie instrumentalisée.
Je sentais qu'on prenait mon livre
pour dire des belles choses,
mais en même temps,
il a-tu lu pour vrai?
Parce que c'est au-delà de ça.
Ce n'est pas juste ça, ce livre-là.
Et ce livre-là raconte des choses que vous pourriez améliorer
et que vous ne faites pas.
Quand tu as vu que Kevin Lambert, lui, a choisi de répliquer
à François Legault, à sa lecture,
à sa courte recension de son roman. Comment est-ce que
t'as réagi? Ben, j'ai craqué
une.
T'étais fière de lui? Ben oui,
absolument. Puis il dit, mais toi aussi,
tu as répondu. Je lui dis, oui, mais moi, j'ai répondu
comme sur mon wall.
J'ai pas répondu directement
en dessous du sien. Fait que ça a fait
en sorte que ça a tombé.
Tandis que lui a répondu direct.
La petite guerre a commencé.
Mais non, non, non. J'étais très contente
qu'il ait fait ça. Parce que ça suffit
que parce qu'on fait de l'art
et que les gens prennent des sous
du gouvernement pour ça, qu'on dise
« Oui, oui, oui, oui, oui, oui. »
Alors qu'on est en désaccord
complet avec ce qu'ils font.
Évidemment, c'est une sorte de bonne nouvelle. En tout cas, moi, je trouve alors qu'on est en désaccord complet avec ce qu'ils font. Mais évidemment, c'est une sorte de bonne nouvelle.
En tout cas, moi, je trouve que c'est une bonne nouvelle
que notre premier ministre s'intéresse à la littérature.
Oui, oui, c'est génial.
Sauf que la manière qu'il s'y intéresse,
c'est un peu curieux, disons.
Ses lectures sont étonnantes, pour dire le moins.
Oui, oui.
C'est toujours bien de promouvoir la littérature.
Comme premier ministre, moi je trouve ça
excellent
qui en parle sur son fil
dans les réseaux sociaux
c'est juste que
peut-être demander aux auteurs avant
parce que j'ai un rédinal
c'est pas nécessaire
exact
je me suis sentie vraiment comme s'il avait
pris une part de notre histoire.
Ils ne l'ont pas eu facile.
Pourquoi tu dis ça alors que toi, tu pourrais changer les choses?
Oui, alors que tu as le pouvoir de changer les choses pour des personnes qui arrivent d'ailleurs au Québec aujourd'hui.
Exact.
Des choses qui n'ont pas tant changé alors que ça fait longtemps.
Est-ce que tu peux nous dire qui est notre invité présentement?
C'est moi l'invité dans ta chambre aujourd'hui,
mais Chacal est chez lui.
C'est le maître des lieux.
Oui.
Il va s'asseoir puis il va se taire.
Il a quel âge, Chacal?
Quatre ans.
Quatre ans.
Il est adorable.
Bonjour, Chacal.
Là, il sent un petit peu partout.
Est-ce qu'ils sont présents
à ton esprit,
les nouveaux arrivants, les gens qui arrivent
au Québec aujourd'hui
de l'Amérique du Sud, d'Afrique,
d'un peu partout dans le monde?
Oui, tout le temps.
Je fais souvent,
c'est un grand mot,
mais je participe
parfois
avec des gens
qui n'ont évidemment pas lu le livre
et que leur niveau de français
maintenant est correct,
mais qui sont dans une espèce de club de lecture
dans les bibliothèques
pour les premiers arrivants.
Ils ont des cours qui se donnent
dans la bibliothèque de français, puis après ça,
ils vont à la bibliothèque et demandent à certains auteurs d'être là de temps en temps.
Et ça, quand moi, j'étais, je suis comme,
oui, mais...
Et ça a été une de mes plus belles expériences,
même s'ils n'avaient pas lu le livre,
parce qu'ils demandaient des questions,
mais est-ce que nos enfants vont s'intégrer,
vont finir par s'intégrer?
Est-ce que ça existe?
C'est vrai qu'au début, tu ne le vois pas.
Tu es là, ça fait un an qu'on est là, puis il n'y a pas tant
de choses de ça qui ont changé.
Donc, poser des questions
qui sont dirigées vers leurs enfants,
aussi, j'ai trouvé ça très beau.
Et poser des questions,
finalement, qu'on ne se pose pas.
On oublie de se poser.
Avec quelles
questions est-ce que tu aimerais que les lecteurs
qui sont des Québécois
blancs nés ici au Québec
repartent de la lecture
de ton œuvre?
Je ne sais pas.
J'aimerais qu'ils repartent
plus avec
des doutes et de se dire
j'en ai-tu
invité, moi,
des gens à marcher chez nous
qui sont pas... »
C'est pas par méchanceté, jamais,
mais de se poser ce genre de questions-là.
Il y a eu dans un cercle de lecture
qui m'avait invité, une femme a dit
« Je me suis rendu
compte que... »
Je me pensais
bien gentille, mais j'avais jamais, jamais invité des gens... Je me pensais bien gentille,
mais je n'avais jamais, jamais invité des gens.
Je me disais amie avec une femme qui était maghrébine.
Elle dit, mais je ne l'ai jamais invité à manger à la maison.
Pour elle, c'était comme une autre personne.
Le clash était trop grand ou quelque chose comme ça. Ce qu'elle disait à ce moment-là,
elle m'a dit, mais je ne me serais jamais rendue compte avant. Je pense qu'elle disait à ce moment-là, elle m'a dit, mais je ne m'en serais jamais rendue compte
avant.
Je pense qu'avec ce genre de doute-là,
comment je parle à ma femme de ménage,
comment...
Il y a une phrase
qui me fait rire,
mais c'est du mot noir,
ça me fait rire jaune, en fait, lorsque tu dis
une des... Je te paraphrase,
mais une des plus grandes avancées du féminisme,
c'est d'avoir permis
aux femmes blanches
de quitter la maison et d'engager
des femmes de ménage, des femmes
immigrantes pour, elles, s'en charger.
Je pense que c'est tout à fait vrai.
Les femmes de ménage qu'on a, c'est souvent ça.
Des gens qui ne s'affaient pas si longtemps
qu'ils sont ici. Et les gens
se pensent comme, ah, je leur fais une faveur
en les engageant. Mais c'est comme, ben non.
Tu les engages au noir.
Tu les engages au noir.
Ils vont partir d'ici. Ils n'ont aucune expérience de plus
de travail à nommer.
C'est pas totalement par bonté de cœur
que tu fais ça.
C'est aussi parce que tu as besoin que ton ménage soit fait.
Parlons d'un sujet très sérieux.
Vas-y.
Est-ce que tu fouilles encore dans les tiroirs
des gens à qui tu rends visite,
comme tu le fais depuis ton plus jeune âge?
J'ai bien l'habitude de ne pas le faire,
mais je le fais devant les gens.
Tu ouvres ton tiroir.
Oui, je veux ouvrir ton tiroir.
Pourquoi? Je ne sais pas. C'est plus ouvrir ton tiroir? Oui, je veux-tu ouvrir ton tiroir? Pourquoi? Je sais pas.
C'est plus élégant, effectivement.
Oui, pour vrai,
je fais beaucoup ça. Mais comment est-ce que tu expliques cette... Est-ce qu'on pourrait dire que c'est une
compulsion? C'est pas une
compulsion, mais...
C'est comme
une tentation, plus.
Il y a un tiroir, là,
il y a des choses cachées
qui arrêtent de venir cacher.
Donc, j'ai envie de l'ouvrir.
Une fois que je jette un coup d'œil,
ce n'est pas si intéressant que ça.
On a un peu tous les mêmes choses dans nos tiroirs.
Qu'est-ce que tu as découvert de plus étonnant
ou saugrenu en fouillant dans les tiroirs de quelqu'un?
Il y a toujours le jouet sexuel.
Ce n'est pas si étonnant que ça.
Mais les endroits où ils sont,
c'est là que c'est comme, wow, OK.
Et dans le salon.
Dans un tiroir du salon, oui.
Là-dessus, c'est plus confortable.
On peut avoir du plaisir sur le divan.
Exactement.
Je suis sûr qu'il y a des gens qui s'y sont déjà arrivés.
Donc, ça,
sinon rien.
C'est une histoire à marde
qu'on a tous.
Avec des batteries
de je ne sais pas quel temps
et 30 millions
de trucs pour brancher
nos trucs.
Tous les trucs pour brancher avec
une clé USB ou une clé.
Après, on a toutes les mêmes affaires.
Des élastiques qui traînent, des trombones
qu'on n'utilisera jamais.
On a tout ça.
Tes souvenirs du Chili sont de quelle couleur?
Est-ce que tu peux me décrire ce qui reste en toi?
Oui, c'est bleuté beaucoup.
Et brunâtre, d'autre part.
Où la rue où on habitait,
il n'y avait pas vraiment de trottoir.
Là, il y en a un maintenant.
Quand je suis retournée, j'ai vu.
J'ai dit, comment mon Dieu, il y a un trottoir.
Mais avant ça,
c'est que d'un côté, il y avait la mer
et de l'autre côté, il y avait
la montée pour aller dans d'autres collines.
Il y a beaucoup de collines, la Valparaiso.
Et donc, le côté pour monter, il est très terreux.
Et c'est très sec aussi.
Donc, oui, beaucoup de poussière qui va de ce côté-là.
Tandis que de l'autre côté, il y a la mer.
Donc, tout semble bleu pour moi dans ce côté-là.
Et encore aujourd'hui,
la mer m'émeut beaucoup,
quand j'arrive dans
n'importe laquelle.
Le son, l'odeur,
ça ne change pas d'une place à l'autre.
Et la violence des vagues,
ça me pogne en dedans.
Tu avais quel âge lorsque tu lui as remis les pieds
pour la première fois?
La première fois, j'avais 19 ans.
Donc, c'est longtemps après.
Et la fois d'après, c'était en
2014-2015, en ce moment-là.
Donc, tu y es allée avec tes enfants?
Non.
J'y suis allée juste parce que
mon petit frère, il allait là-bas vivre
pendant un certain temps pour un doctorat qu'il faisait.ère, il allait là-bas vivre pendant un certain temps
pour un doctorat qu'il faisait. Donc, il restait
un an, je pense.
Un certain temps en Valparaiso
et un certain temps en Santiago.
Donc, j'allais le voir parce que
pour mon petit frère pendant si longtemps,
c'était pas possible.
Ton petit frère, c'est
Nicolas Dassen. Il est aussi écrivain.
Écrit de très beaux livres. Et c'est Nicolas Dassen lui aussi il est écrivain il écrit de très beaux livres
et c'est un peu drôle parce que
évidemment on va rencontrer
nos tantes, nos cousines, nos cousins
puis tous les gens qui traînent
là puis t'es pas sûr c'est de la famille ou pas
et
ma tante elle me disait
elle me frappait avec un journal
nous tu nous as pas vu depuis genre
20 ans.
Puis ça te fait rien.
Puis ton frère, il vient ici, là, juste six mois.
Puis lui, tu viens le voir tout de suite.
Quel rôle il a joué, Nicolas,
dans l'émergence de ton oeuvre?
De une, il m'a donné la permission.
J'avais l'impression que...
Tu sais, moi, j'écris ce livre-là,
puis j'étais prof de sociologie, puis j'étais bien.
C'était ça, moi.
Quand les gens me demandaient mon occupation,
puis juste, c'était plus que ça.
J'avais vraiment une identité
comme prof de sociologie.
Je trouvais ma job vraiment belle.
Et des fois, je me disais,
il ne faut pas que les gens sachent c'est quoi ce job-là,
sinon ils vont se dire,
ben voyons.
Les gens vont se ruer pour devenir professeur de sociologie au Cégep.
Et donc,
j'étais vraiment heureuse
comme professeure et je ne voulais pas changer.
Ce n'était pas quelque chose que je voulais changer.
Et quand j'ai écrit le livre,
j'ai eu l'impression qu'il fallait que je le demande à mon frère
parce que lui, c'était son milieu,
le milieu littéraire, le milieu des éditions.
Je connaissais rien à ça.
Et donc, premièrement, il m'a demandé
est-ce que j'ai le droit d'écrire là-dessus?
Il m'a dit oui, bien sûr.
Mais je sentais qu'il fallait que je lui demande, vraiment.
Qu'il y ait son approbation.
Parce que c'est son monde.
Ce n'était pas le mien.
Et il a dit oui avec une extrême gentillesse.
Et ensuite, après, quand je l'ai écrit, le livre, le manuscrit,
je n'étais pas en panique.
C'est une des seules fois où je ne suis pas bien anxieuse.
Ça a été une des rares fois dans ma vie où j'étais anxieuse
en me disant, c'est peut-être
la chenote, c'est peut-être
pas bon, ce livre-là.
Et j'ai trahi tout tellement d'heures, je tue,
genre, je perds de la face.
Et donc, je dis à Nicolas,
est-ce que tu peux le lire?
Puis me dire juste, genre,
oui ou non, c'est de la merde ou pas. Etais, Nicolas, est-ce que tu peux le lire? Puis il me dit juste genre, oui ou non.
C'est de la merde ou pas.
Et donc, Nicolas l'a lu.
Puis après ça, il m'a invité à aller prendre une bière.
J'étais là, oh non.
Ça sent mauvais.
Exact.
C'est sûr qu'il n'aime pas ça.
Et donc, on est allé prendre un verre.
Et il m'a dit, Il parlait des bons côtés,
des mauvais côtés, comme un prof qui fait le donne-les, l'examen.
Je me suis dit, arrête, Nicole, tu me fais souffrir.
C'est quoi, finalement?
Penses-tu que c'est assez bon?
Puis là, il m'a dit, Caroline, ton livre,
il n'est pas juste bon, ça va cartonner.
Puis je me suis dit,
OK, t'es gentille,
mais t'es mon frère aussi
et mon ami.
J'ai eu ça au « oui », tu sais,
je ne sais pas, deux yeux d'éditeur un peu.
Et donc là, j'ai décidé les maisons d'édition
pour lesquelles j'allais envoyer le livre.
Ça partit à ce moment-là.
Il y a eu ce rôle-là,
mais c'est des rôles qui ne sont pas petits.
– C'est déjà beaucoup.
– Oui, c'est énorme pour moi.
Sinon, je sais pas si j'aurais eu le goth
de l'envoyer aussi.
– Mais si tu l'as écrit,
le besoin que t'avais
de raconter cette histoire-là,
comment est-ce que tu le décrirais?
Pourquoi est-ce que c'était important pour toi
de consacrer ces heures-là alors que
t'avais un emploi prenant, des enfants,
une vie bien chargée? C'est quand même du temps.
Le temps d'écriture, c'est du temps qu'on vole
au quotidien.
Oui et non
parce que je l'écrivais le soir,
tous les soirs. Puis mes enfants,
ils se couchaient relativement tôt à cette époque-là,
contrairement à maintenant.
Et
ils se couchaient tôt. Et donc,
tu sais, mettons 7h45,
il était en train de dormir et donc, à partir,
là, tu ramasses un petit peu
tous les jouets
qu'il y a par terre
pour faire semblant
que c'est propre.
Ça me dit quelque chose
cette routine-là, oui.
Et ensuite, tu sais,
tu pourrais laver la vaisselle
ou t'écrire.
Fait que j'ai décidé
d'écrire à ce moment-là
puis j'écrivais tous les soirs
comme une petite fourmi.
Je travaillais sans cesse
à la même heure,
de 8 à 10, 11, 12.
Dépendamment si ça allait bien
ou si ça n'allait pas.
Je me disais,
il faut que je gêne
cette discipline-là,
d'écrire au moins
une heure par soir.
Puis il y a des soirs
où c'était juste une heure
et je sentais
que c'était vraiment pas bon.
Puis il y a des soirs
où ça allait bien
et c'était jusqu'à minuit.
Et c'est ça.
Donc, je n'avais pas
l'impression tant que ça. Durant le jour, c'est totalement impossible pour moi. Il y a des soirs, ça allait bien, puis c'était jusqu'à minuit. Et c'est ça. J'avais pas l'impression tant que ça.
Durant le jour, c'est totalement impossible pour moi.
Tu sais, il y a des enfants.
« Maman, j'ai une collation. »
Et c'est vrai.
Ils mangent tout le temps.
Ils mangent tout le temps.
Et il y a la vigne, tu sais.
Il y a toujours...
Il y a toujours quelque chose qui tombe à terre.
Ça fait que c'était impossible.
Donc, c'était... Je me souviens plus. terre. Ça fait que c'était impossible. Donc, c'était... Je ne me souviens plus.
Pourquoi est-ce que c'était important?
Comment tu décrirais le besoin que tu avais quand même de...
Je comprends que c'est du temps qui t'appartenait,
mais tu aurais pu consacrer à autre chose.
Lire, regarder des séries.
Oui.
Je n'aime pas ça tant que ça, les séries.
Pour vrai, parce que
j'ai consacré un certain temps dans ma vie
à regarder des séries
et chaque fois, je me disais
c'est bon, mais
je pourrais consacrer
de temps en autre chose. Je me sens toujours un peu push
ou un peu mal
d'avoir fait ça.
Et voilà, on a le secret. Si vous souhaitez
vous lancer en littérature,
il faut que vous renonciez
aux séries télé. Exact.
Parce qu'on parle toujours de l'inspiration
et de ta-ta-ta, mais
il y a des choses objectives dans la vie
qui nous empêchent d'écrire, puis donc qui nous
forcent à écrire, on va dire.
Une des choses qui me force à écrire, c'est
mes enfants sont couchés, là, j'ai plus rien à faire.
Je pourrais, oui,
je vais acheter dans le sofa et écouter des séries
ou je pourrais essayer de faire
de quoi. Fait que, j'ai essayé
de faire quelque chose. Mon chum, il a été
d'un encouragement infini.
Lui, il a lu
presque tous les chapitres un par un,
alors que, tu sais, son français, il est pas,
il est excellent quand il parle,
mais à l'écrit, surtout, tu sais,
il a pas étudié le français à l'écrit
donc il trouve ça extrêmement difficile
mais il faisait quand même
Google Translate
il lisait comme ça
et donc il le trouvait bon mais
c'était pas la même chose
que quand
il a été imprimé
je reviendrai
et donc ça c'est une des raisons
pourquoi j'ai pu l'écrire,
mais ce n'est pas la raison
pourquoi j'ai eu envie de l'écrire.
Pourquoi j'ai eu envie de l'écrire?
Parce que ma fille,
elle est née,
et c'est à ce moment-là
que j'ai commencé à écrire,
à peu près.
On dirait que je m'attendais
à avoir un autre gars
et d'avoir cette vidéo
avec trois gars.
Mais ensuite,
je me suis dit,
je ne sais pas, il y a un autre rapport.
Moi qui est sociologue,
qui crois beaucoup
en la théorie du genre,
je me disais,
chez les Latino-Américains, je pense davantage,
mais je pense que c'est comme
dans plein de familles,
il y a des secrets qui se cachent.
Et ça, je ne vais pas trop dévoiler,
mais dans ma famille, il y en a eu un
que ma mère m'a annoncé.
Et que...
T'en parles dans le livre, oui.
Oui.
Et j'ai trouvé ça...
Je ne vais pas dire fatigant,
mais j'ai trouvé que ça suffisait.
Une fois pour toutes, ça suffisait.
Parce que sa mère avait des secrets,
ma mère avait des secrets, sa mère avait des secrets.
Puis c'est des choses qu'ils disent dans la cuisine,
finalement, tu finis par les entendre, évidemment.
Puis, tu sais, découvrir que ton père,
c'est pas ton vrai père,
dans une conversation
à côté en l'écoutant ça doit pas être le fun
donc très dramatique
aussi très télé-novelleur
et là moi je me dis ça suffit je veux pas
parce que je me dis qu'est-ce qu'elle va déterrer ma fille
dans quoi
elle va aller fouiller pour trouver le secret
je vais lui
livrer en fait je vais lui dire c'est le secret. Je vais lui livrer, en fait. Je vais lui dire
c'est quoi
notre voyage. Je vais lui dire
c'est quoi ce gros changement-là
pour moi. Je vais lui dire
ce que ça a pris
comme sacrifice.
Puis qu'il était sa grand-mère
aussi. Je vais lui expliquer davantage.
Oui, je pense que
il y a Wajid Mouawad qui dit dans un... à sa grand-mère aussi, lui expliquer davantage. Je pense que...
Il y a Wajdi Mouawad qui dit dans un...
Il y a un entretien qu'il a fait avec...
Je ne sais plus qui.
Qui a été fait en livre.
Il dit à un moment,
il faut casser le fil.
À un moment donné, il faut rompre le fil.
Et ça m'a choquéeée dans le sens d'un choc
quand j'ai lu ça.
Puis oui, il faut rompre le fil à un moment donné.
Et donc, je ne voulais plus qu'on vive là-dedans.
Elle a quel âge, ta fille Bérénice?
Six ans.
Six ans.
Six.
Six.
Puis ton fils, Paul?
Dix. Donc, je présume
qu'ils n'ont pas encore lu tes livres.
Mon fils, oui.
Mon fils, il a lu
mon livre de poème.
Ce qui est tu. Ça tombe bien parce que c'est lui
qui est sur la couverture. Il est même venu au lancement
avec ses amis.
Toute sa gang.
Sa gang de boys. Non, il y a une Toute sa gang, là. Sa gang de boys.
Non, il y a une fille dans sa gang.
Sa gang de boys and girls.
Oui, boys and girls.
Ça n'était pas tout là, mais c'est quand même quelque chose.
Quand je les voyais, c'était vraiment
mon Dieu. Et leur mère.
Puis qu'est-ce qu'il en a pensé?
Sa critique, c'était quoi?
Combien d'étoiles?
Il dit, maman, je ne vais pas se faire de la peine,
mais la poésie, je n'aime pas vraiment ça.
Je lui dis, correct, Paul, tu n'as pas besoin d'aimer ça.
C'est déjà très beau que tu aies fait l'effort.
Il dit, il n'y a pas beaucoup de mots.
Je suis genre...
Oui, ça fait que c'est ça.
Est-ce que tu as hâte au moment où Bérénice pourra lire
Là où je me terre?
Oui.
J'ai peur que ce soit trop tôt.
J'ai peur qu'elle le pogne en 12 ans, genre, pis que...
On verra.
Elle est assez vieille pour savoir que maman écrit des livres.
Oui, oui, oui.
C'est même elle qui...
Ça m'a vraiment touchée,
en fait, quand on m'a dit ça.
On devait remplir un petit...
Tu sais, le maternel,
c'est un peu des devoirs pour les parents tout le temps.
Merci de me prévenir, ça s'en vient pour moi,
dans quelques années.
Un petit fascicule où elle devait faire
un exposé oral sur ses parents.
Donc, il fallait qu'on réponde nos questions nous-mêmes.
Et donc, il y a une question,
c'est que font tes parents dans la vie?
Et là, pour son père, c'est facile.
Et pour sa mère, on est arrivés,
puis j'ai dit, paf, je sais pas,
Bérénice, on peut écrire que je vais
à la chimiothérapie, tu sais,
c'est ça qui occupe ma vie.
Puis elle m'a regardée, elle a dit,
mais non, maman, t'écris des livres.
Parce que moi, je cherchais,
qu'est-ce que je fais dans la vie?
Je fais un film.
Puis il y a la radio, mais c'est pas très souvent.
Et donc, elle a dit, mais non, maman, t'écris des livres.
Je suis comme, merci de me le rappeler.
Puis là, j'ai écrit.
Elle a écrit des livres.
C'est très beau.
On a en commun d'avoir
vécu l'expérience de la chimiothérapie.
Oui.
Je l'ai vécu moins longtemps que toi,
mais je l'ai vécu assez longtemps pour m'en souvenir.
Qu'est-ce que tu as appris au sujet de ton corps
et de ta force en vivant ces moments-là?
Parce que je suis allé relire ta première publication Facebook
où tu nous annonçais
ta maladie. Je me souviens
du lieu où j'étais lorsque je l'ai lue.
J'étais à Lac-Mégantic avec la vue
sur le lac.
Je me suis mis à pleurer automatiquement
même si je te connaissais seulement
à travers ton livre.
Qu'est-ce que tu as appris au sujet
de ton corps? Parce que tu disais dans cetteest-ce que tu as appris au sujet de ton corps?
Parce que tu disais dans cette publication-là
que tu es forte que le crisse.
Je le pense encore.
Toutes les épreuves,
j'ai l'impression que je peux les passer.
Pour vrai.
Ça ne vient pas d'une espèce de non-modestie.
Mais c'est qu'est-ce qu'il y a au bout.
C'est surtout ça qui nous fait...
Je pense qu'il faut qu'on puisse oublier l'expérience de la chimio.
C'est tellement total.
Donc, elle est très difficile.
Et
je la souhaite à personne.
Mais
quand tu sors,
j'ai l'impression, moi,
dans ma tête, la chimiothérapie, c'est comme si on te couvrait
d'un truc de plastique
puis t'es comme en dehors
puis en dedans en même temps, puis t'essaies de souffler.
Et donc,
éventuellement,
tu émerges, puis t'es correct.
Et quand t'es correct,
c'est pas comme
si de rien n'est passé, mais
presque, tu reprends ta vie
normale, puis c'est
beaucoup plus facile. Mais je pense que ça...
Ce que je ne pensais pas,
c'est que ça allait
me changer.
Ouais.
Je pense qu'on est
beaucoup plus fragiles après
ouais
n'importe quelle chose
me fait pleurer
de beau ou pas
et avec la chimie
c'est comme
3 millions fois pire
une amie m'annonce
qu'elle est enceinte
boy
c'est beau la vie
ce genre d'affaire là
je pensais pas
que ça allait me changer
à ce point là
dans une espèce de fragilité
ou...
C'est peut-être pas de la fragilité, c'est
de la vulnérabilité, ouais.
De la sensibilité, ouais.
Mais lorsque t'as appris
que j'allais avoir un deuxième
bébé, tu m'as écrit
probablement le plus beau message que j'ai
reçu après l'annonce
de cette nouvelle-là, alors que
on se connaît, mais on n'est pas si proche
que ça. Donc, merci pour ça.
Merci. C'est parce que j'écris des livres.
Oui.
Elle écrit bien, Caroline, effectivement.
Comment est-ce que tu l'as annoncé
à tes parents que tu avais écrit
un livre dans lequel ils étaient
devenus des personnages?
Je me souviens
même pas. C'était tellement
organique.
On parlait.
Ils savaient que j'écrivais et que j'écrivais quelque chose
d'important. Peu à peu, on se les dit.
Une fois que ça a été fini,
ils voulaient le lire. Je disais non, non, non,
je vous dis la version finale, la belle version.
Puis, quand on a eu
des livres qui sortent avant
qu'ils soient
en publication
normale, c'est pour les journalistes notamment,
pour qu'ils puissent les lire avant qu'ils...
Et donc, quand ils ont... Je leur ai donné
ces livres-là,
ils étaient très fiers
de moi. Je pense que c'est ça qui fait en sorte
que j'ai l'impression que n'importe quelle attaque,
je peux la combattre aussi.
C'est que par rapport à moi,
on a une confiance là-dedans
qui m'accompagne depuis toujours.
Les discours qui circulent beaucoup au sujet du cancer
tendent à dire que le mental n'est pas beaucoup
dans notre possibilité de guérison,
ce qui n'est pas complètement faux,
mais ce qui est loin d'être totalement vrai.
Est-ce que ces discours-là qui circulent beaucoup t'agacent?
Oui, c'est insupportable en fait.
Quand tu vois ça, tu te dis,
t'as pas fait de chimio, toi.
C'est des discours, en fait.
Mais en même temps,
je pense que personne
a vu une personne
guérir
qui ne voulait pas vivre.
Je pense que c'est ça, un peu.
Mais à part ça,
à part ça,
il n'y a rien
de mental.
Je n'ai pas eu ce cancer-là parce que j'ai fait
quelque chose.
Il y a ton corps, la façon dont il fonctionne,
on ne comprend pas.
Il y a des gens qui réagissent bien à la chimie,
il y a des gens qui réagissent très mal.
On ne sait rien.
C'est un domaine
où on a très peu, surtout le cancer que nous avons eu.
Les ostéosarcomes, c'est un domaine où on a très peu, surtout le cancer que nous avons eu, les osteosarcomes, c'est un domaine où on ne sait pas à peu près rien. Et donc, ils vont un peu et c'est erreur.
On aime penser que la médecine moderne est très éclairée. C'est vrai, mais ils vont aussi un peu à tantôt, pour le dire très bêtement. Oui, oui, oui. Puis les gens, des fois, sont fâchés en disant, ah, le médecin,
il pensait ça, puis finalement,
c'est ça, puis
il s'est trompé. Je dis, ben non, c'est pas trompé,
c'est le fait que
t'étais plus probable d'avoir ça que
la deuxième affaire. Moi, mettons,
ça a pris longtemps avant qu'il trouve c'est quoi.
Moi, j'ai passé des mois à aller voir des médecins.
J'étais même, ils m'avait mis avec la clinique
scélo-squelettique de Montréal
et on ne trouvait rien.
Parce qu'une fille de 40 ans,
je faisais du jogging trois fois par semaine.
C'était comme...
Je ne me fit pas dans...
Et donc, évidemment qu'il ne va pas penser ça.
C'est ça.
Est-ce que je peux te poser une question vraiment intime?
Oui, vas-y.
Dans ton livre, il y a un certain moment
où on se trouve au Fofone Électrique
puis tu crouses une vedette locale.
C'est qui la vedette locale?
Je ne sais pas si je peux le dire.
Ça fait une heure qu'on parle de maladie,
de spiritualité,
mais on ne peut pas révéler
qui est cette vedette locale.
Non, je ne pense pas que je puisse le dire.
Tu connais la vedette locale?
Je la connais?
Oui, j'ai vu faire des interviews
avec cette personne.
Bon, d'accord.
Alors, je vais retourner lire
chacune des entrevues que j'ai faites au cours des dernières années. Tu en as fait beaucoup. Oui, j'en. Alors, je vais retourner lire chacune des entrevues
que j'ai faites au cours des dernières années.
T'en as fait beaucoup.
Oui, j'en ai fait quelques-unes,
effectivement.
Bon, il y a une autre,
c'est plus qu'une vedette locale,
mais une personnalité connue,
un grand cinéaste
qui se trouve dans ton livre,
Pierre Falardeau.
Oui.
On en a discuté
la dernière fois que je t'ai rendu visite ici.
Je te disais que ça avait
transformé mon regard sur Falardeau,
ce que tu nous racontes
à son sujet, ton interaction
avec lui. Quelle place
il occupe dans ton cœur,
Falardo? Aujourd'hui, est-ce que tu lui as
pardonné? Comment il a
réagi à ce que tu lui as raconté?
Tu sais, c'est à moitié
une blague de gens qui sont un peu
sous. Ça n'a pas une valeur
réelle. Et aussi, Falardo
était un vrai gentleman.
Contrairement à beaucoup d'autres
petites vêtements locaux, il ne profitait pas
de ça, de se faire
inviter à
l'Université de Montréal pour se pogner
une petite fille.
Ce que tu lui racontes, c'est que
le pot de yogourt Liberté, puisque Falardo
venait de lancer un livre intitulé « La liberté n'est
pas une marque de yogourt », puis toi,
ces pots de yogourt-là avaient
une signification particulière,
représentaient quelque chose de... Ce n'était pas
que du yogourt pour toi dans tes yeux d'enfant.
Le mot Liberté.
Il a ri un peu de moi
quand j'ai raconté
mon drame.
Si on s'en crie.
Il était très... Mais c'est ça. Comme je t'ai raconté mon drame. Puis, si on s'en crie. Tu sais, il était très...
Mais c'est ça, comme je t'ai dit,
c'est un vrai gentleman.
Il ne crouse à personne.
Il jasait avec tout le monde.
Puis tu sais, comment ça peut être gossant,
des jeunes en sciences humaines,
en première année à l'université,
qui pensent qu'ils savent tout déjà.
Puis j'étais de celle-là.
Mais il nous a accordé tout le temps qu'il y avait.
On a visionné, lui-même a porté
certains films qui étaient moins disponibles.
On pouvait poser
sincèrement toutes les questions. Après ça,
on va prendre une bière
puis il vient avec nous.
Vraiment, il était extrêmement généreux.
Extrêmement généreux.
Donc,
c'est pas juste la même.
C'était comme...
Je devrais pas le mettre sur ma liste noire.
Non, absolument pas.
Jusqu'à ce qu'il réagisse comme ça.
Absolument pas, non. Moi, je l'aime vraiment beaucoup,
même encore. Qu'est-ce qu'il a réagi comme ça. Absolument pas, non. Moi, je l'aime vraiment beaucoup, même encore.
Qu'est-ce qui reste
de cette jeune
femme idéaliste,
militante, qui participait
à des manifestations,
qui voulait changer,
transformer le monde? Qu'est-ce qui reste
de cette jeune femme-là,
la femme qui se trouve devant moi présentement?
Elle est là, mais elle est là...
J'écris un petit texte
pour
Québec en image.
Je lui demandais
d'écrire un texte,
puis lui, il les plaçait un peu partout
dans la ville de Québec.
Et je parlais de ça.
Les gens qui faisaient des marches
pour toutes sortes de choses.
J'écris « Vous marchez pour ceux qui ne peuvent pas. »
Donc, cette fille-là est là.
Excuse-moi.
Ça va.
Je t'ai dit que je suis un braillard.
Moi aussi, je suis un braillard. Moi aussi, je suis un braillard.
Je regarde la lutte
et souvent,
pas une fois de temps en temps, souvent,
je vais me mettre à pleurer en regardant
la lutte parce que, bon,
ça me relie à mon enfance, mais aussi parce que
les drames
qui se déroulent entre les câbles
m'émeuvent.
Je comprends.
Merci de m'accueillir.
Mais oui, donc c'est ça. Cette fille-là
elle essaie d'exister, mais
ça ne peut plus.
Au début de Là où je me terre, tu écris
au sujet de
cette décision-là que tu prends, que tu nous racontes,
cette décision-là que tu prends à ce moment-là
de ne pas te lancer par la fenêtre
au moment où tes parents t'annoncent
qu'ils vont quitter le Chili pour le Canada.
T'écris, il n'en est demeuré qu'une posture,
un rapport au réel et un être au monde,
embrasser l'existence,
même si pour cela, il fallait la transfigurer.
Est-ce que tu crois au pouvoir de la littérature,
de l'écriture, de transfigurer l'existence.
Oui, beaucoup. Je pense que
ce livre-là, je l'écris aussi
évidemment en hommage
à ma mère, mais plus que ça.
Je voulais que ma mère devienne
un vrai personnage de la littérature
québécoise.
Ça va pas de soi,
mais trouver des femmes de ménage
latino-américaines, il y en a partout, mais
tu sais, des fois, il y a des gens
qui m'ont déjà dit,
genre, je suis, mettons,
allo, c'est quoi, d'où tu viens, toi?
Je suis Chilienne. Ah, ma femme de ménage
est Chilienne.
OK. C'est le fun.
C'est peut-être ma mère.
Donc, ouais. Et donc,
je voulais lui faire cet honneur-là.
Tu sais, ça, tu vas devenir
un personnage, puis tu vas exister
dans la tête des gens pour toujours.
Ou toujours,
en tout cas, jusqu'à ce que la planète explose.
J'ai jamais rencontré ta mère.
J'ai rencontré ton père tantôt, parce qu'il est ici, présentement.
Mais j'ai jamais rencontré ta mère,
et pourtant, j'ai l'impression de la connaître.
Je suis sûr que c'est le cas pour tous ceux
qui ont lu ton roman.
Oui, oui.
Très timide, mais
elle me dit toujours
que j'ai fait le plus beau cadeau.
Le plus beau cadeau,
c'est le livre?
Oui. J'ai dit, c'est pas ton fils?
J'aime jaser avec toi
parce que tu nourris l'espoir en moi.
Je suis plutôt du côté pessimiste des choses,
en général.
C'est vrai?
C'est ça, mon inclination naturelle, disons.
C'est ça?
Mon Dieu, je ne crois pas de même.
Tu me ramènes du côté de la lumière.
Puis, ce sont les deux pôles de ton œuvre.
Il y a d'un côté l'espoir,
puis de l'autre côté l'indignation, la colère.
Qu'est-ce qui reste de colère en toi?
On pourra aller vers l'espoir ensuite.
La colère est toujours là aussi.
Constamment, quand je vois les nouvelles
que le gouvernement ne veut pas leur donner,
je ne sais pas combien de pourcents,
arrêter la petite valse de grève,
pourcentage de grève. Décidons le premier
coup. Et puis,
évidemment, c'est des gens qui méritent
beaucoup plus que ce qu'ils ont.
Mais je te parle d'un événement très précis.
Mais en dehors de ça,
oui, je suis...
Je me fâche.
En disant que je suis fâchée
il y a plein de choses qui me fâchent continuellement
je trouve que
ça a aucun sens
qu'on soit en 2023
et qu'il y ait tant d'iniquité
entre les gens
on pourrait conclure
en observant ta trajectoire
ce que tu es devenu
et ce que tes frères aussi sont devenus,
que vous êtes l'exemple parfait d'un success story.
Tu en parles dans ton livre des success stories.
Pourquoi est-ce que tu refuses aussi ardemment
cette étiquette-là?
Parce que c'est comme si,
pour être un bon immigrant,
il fallait que tu sois dans un success story.
Tandis qu'il y a plein d'immigrants qui, je ne sais pas,
ils travaillent chez Maxi,
ils reviennent chez eux le soir,
ils écoutent, je ne sais pas,
Sass, comment ça s'appelle?
Stat.
Ils écoutent ça le soir,
ils dorment,
puis ils reviennent le lendemain.
Ils n'ont pas des vies,
ils ont des vies ordinaires,
pas dans le sens de,
mais pas dans le sens qu'elles sont plates, dans le sens que c'est des vies ordinaires, pas dans le sens de, tu sais, mais pas dans le sens qu'elles sont plates,
dans le sens que c'est des vies normales.
Et on n'a pas besoin
d'être extraordinaire
dans le sens de, ouh, vous avez
gravi tous les échelons pour que ça vaille
la peine, tu sais. Si tu accueilles des gens,
tu accueilles des gens, point.
Donc, qu'est-ce qui nourrit l'espoir en toi?
Je pense que les structures
me fâchent,
mais que les gens, je les aime.
Et donc, individuellement, les gens,
il y a tellement de gens extraordinaires.
Tu le vois quand tu es à l'hôpital,
tu es prise en charge,
tu vois qu'il y a des infirmières qui font beaucoup plus qu'elles devraient.
Tu rencontres des gens qui se donnent.
Tu es là, tu ne me connais pas. Pourquoi tu me donnes des soins
avec tant de gentillesse
et de sollicitude? Il y a beaucoup de gens
comme ça dans ma vie qui ont fait la différence.
Donc, je dirais
que c'est ça l'espoir.
Est-ce que tu te permets
de penser,
de te projeter
dans la première journée
où tu serais guérie
de ton cancer? Non.
Pas du tout.
Non, non. Je vais pas là.
Sinon, c'est trop dur.
Donc, tu as eu
chacune des journées
une à la fois?
C'est plus une semaine à la fois.
Une journée à la fois, ça me semble
mon Dieu.
C'est rough. Mais non, non, plus une semaine à la fois. Une semaine? Oui. Une journée à la fois, ça me semble bon. C'est rough.
Mais non, non.
Plus une semaine à la fois,
je te dirais.
Comment tu vas présentement?
Pas super.
Ils ont découvert
que la chimio
ne fonctionnait plus.
Ça, c'est la mauvaise nouvelle.
Mais,
d'un autre côté,
la bonne nouvelle,
c'est qu'il y a
d'autres traitements
comme l'immunothérapie
qui semblent être une voie
très prometteuse.
Donc, mon mari est très content,
mon collègue est très content,
puis moi je suis comme, OK, mais ma tumeur a grossi
pendant ce temps-là.
Pendant ce temps-là, donc,
je fais que je fais un moyen.
Est-ce que tu accepterais
de nous lire un extrait de
Là où je me terre? Si tu veux.
Oui. C'est dans ce bus
au début du trajet qui me menait
à ce brébeuf qui n'était pas mon école
que je me suis
promis que j'écrirais.
Que j'écrirais fort,
violemment, sans fioriture,
comme si mes ancêtres, les sacrifiés,
les anonymes, laissés derrière, glisaient par-dessus mon épaule.
Écrire comme si les femmes qui m'avaient précédé sortaient de terre pour m'observer.
Toutes les femmes, les grosses, les affamées, les putes, les prieuses, les analfabètes, les crieuses, les maudites, les folles, les abandonnées, les chipies, les muettes, les commères, les alcooliques, les vierges, les sibilles, les voyantes, les aveugles, les
éteintes, les effrontées, les battues, les colériques, les pleureuses, les haletantes,
les violées, les tristes, les courbées, les sirènes, les offensées, les endolories,
les increvables, les torturées, les lionnes, les chiennes, les déprimés,
les écrasés, les soumises, les mégères, les crevés, les faits, les mères, las negras, las brujas et les
damnés. Écrire comme une danse macabre ou un cri de révolte, comme un souper échappé par terre au
temps pauvre, comme un cri primal devant une agression sexuelle,
comme la disparition d'un enfant
après le coup d'État,
comme une décennie de dictature
sur toute l'Amérique latine,
comme les larmes du silence
durant les prières dans les sous-sols.
Écrire mon histoire
comme toutes ces femmes en moi
à ressusciter.
C'est fort. C'est bon. C'est bon. Je le confirme. Je suis d'accordusciter. C'est fort. C'est bon.
C'est bon. Je le confirme, je suis d'accord.
Merci, c'est fort.
Quand je le relisais...
C'est un bout que j'allais enlever.
Pourquoi?
C'est que les gens vont capoter
et vont dire
qu'elle est vraiment fâchée.
Il y a un crescendo
dans cette énumération-là
qui est très, très puissant.
C'est laquelle
votre chanson
à ton amoureux et à toi de Lil' Cohen?
Show me the place.
Mais c'est que
aussi, la première fois qu'on s'est rencontrés,
il est venu à moi
puis il a dit
une niaiserie. On buvait des verres avec mes amis. C'est ça aussi notre histoire. Il est venu à moi et il a dit,
« Nézré, on buvait des verres avec mes amis. » C'est aussi notre histoire, c'est qu'il a passé dans la rue.
C'est une histoire un peu de film hollywoodien.
Vous étiez où?
Au Portugal.
Lui était là avec ses amis, moi j'étais là avec mes amis.
On est sur la rue debout
en buvant un truc et
il passe, je suis comme
il m'a dit non pas ce gars-là, puis mon ami a dit
il s'en vient de revoir
c'est pas possible, je me retourne puis il est là
à côté de moi, puis très grand
et
il me dit
abuse pas de ça
c'est vraiment fort, je dis oui on a ça. C'est vraiment fort. »
Je dis, « Oui, on a compris. »
Qu'est-ce que tu buvais?
Une brancoche, qu'il appelle là-bas.
C'est un truc avec des fraises.
Je suis là, le vodka, je pense.
Je n'ai aucune idée, mais beaucoup de fraises.
Ça monte à la tête.
Oui.
Et il dit, « Après, d'où tu viens? »
Je dis, « Je suis à Montréal-Est. » «réal. Ah! As-tu déjà vu Léonard Cohen?
Et j'ai dit, oui, en fait, mais juste vu.
Je n'ai pas...
Je l'ai vu dans une librairie une fois.
Il était...
Il était comment?
Il était comment?
Puis il dit, tu sais,
on a choisi notre chanson de mariage,
puis c'était celle-là.
C'est très dramatique.
Mais
en tout cas, moi, je suis un peu
comme ça, magnifiquement belle
et les gens me réagissent. Tout le monde pleurait
à ce moment-là.
Et c'est ça.
Donc, ça a toujours eu une place importante
dans tous les choix que j'ai faits importants dans ma vie.
Il dit, il y a comme Léonard Cohen qui arrive,
puis on a notre patronge gardien.
Juste que tu ne veux pas me dire qui est la vedette locale.
Est-ce que tu aimerais, en conclusion, me dire quelque chose
qui resterait juste entre toi et moi?
Tu sais, je lis beaucoup de livres, mais chaque
deux, trois, non, peut-être pas
deux, trois, peut-être quatre, cinq livres,
j'en peux plus de la littérature
contemporaine, et je lis
Balzac.
Ça, il y a comme personne qui le sait.
C'est comme
si je revenais à « Ah, OK,
enfin. »
Il y a des phrases parfaites, parfois,
vraiment, que je considère comme parfaites
dans Balzac.
Et c'est le rythme
qui est toujours le même.
Et je me sens chez moi
quand je lis en Balzac.
C'est ça que je fais pour me sortir de toute la...
de toute la...
Je sais pas.
La littérature contemporaine,
elle est parfois...
C'est très violente ou très...
Oui, mais Balzac, c'est tout doux.
Fait que oui, je me cure.
C'est une très belle confidence.
Oui, c'est ça que j'ai pensé.
Ça, il n'y a personne qui le sait de moi.
Merci, Chacal.
Merci, Caroline, de m'avoir accueillie dans ta chambre à coucher.
C'est toujours un plaisir de passer du temps en ta compagnie.
Tu me ramènes du côté de la lumière.
Merci pour ça.
Merci à toi.
Merci pour ta générosité.