Juste entre toi et moi - Richard Séguin
Episode Date: June 12, 2023Richard Séguin accueille Dominic dans l’église de Saint-Venant-de-Paquette, le temps d’un entretien autour de son enfance, son rapport au territoire et sa relation avec le peuple innu.... Aussi au menu : sa rencontre avec Springsteen et une anecdote impliquant Florent Vollant et Richard Desjardins dans un spectacle de Neil Young.
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Sous-titrage Société Radio-Canada spécial de Juste entre toi et moi. Oui, déjà un épisode spécial.
Spécial parce que nous avons fait pas mal de route pour se rendre
jusqu'à notre invité. Il y a quelques
semaines, le photographe Dominique Gravel,
le technicien de son Bastien Gagnon
la France et moi-même, nous nous sommes
rendus à Saint-Venant-de-Paquette,
un petit village estrien d'une centaine de citoyens
et nous sommes allés rencontrer celui
qui est en quelque sorte le maire officieux
de Saint-Venant-de-Paquette,
son résident le plus connu en tout cas.
Je parle bien sûr de Richard Séguin,
Richard qui nous a accueillis en nous tendant la main dès que nous sommes descendus de la voiture.
Je pensais que je me rendais à Saint-Venant pour faire une entrevue avec Richard Séguin,
mais je ne me doutais pas que je passerais l'après-midi au complet avec lui.
Richard nous a d'abord invités à prendre un café à la Maison de l'Arbre,
puis nous a fait visiter l'église de Saint-Venant,
une église qui est aujourd'hui désacralisée.
C'est pas loin de là que se trouve le célèbre sentier poétique de Saint-Venant de Paquette.
C'est d'ailleurs dans la sacristie de l'église qu'on a enregistré cet entretien.
La sacristie, c'est maintenant une galerie d'art.
Richard avait apporté pour tout le monde des copies de ses plus récents albums,
Les liens, les lieux et Retour à Walden sur les pas de Thoreau,
son album inspiré de l'oeuvre du philosophe et poète américain Henri-David Thoreau.
Pour le récit complet de notre journée, je vous invite à lire mon article dans La Presse Plus ou sur lapresse.ca.
Ce que vous allez entendre dans quelques instants, c'est Richard qui nous raconte comment il s'est installé à Saint-Venant en 1973.
Voici mon entretien avec un homme qui chante.
Richard Séguin.
Juste entre toi et moi
Ça restera entre toi et moi
Pour une fois
ça reste entre toi et moi
On ne savait pas qu'on cherchait une terre
parce qu'on a acheté avec ma soeur,
on était les quatre, elle et son conjoint,
on a acheté à quatre au départ, puis était les quatre, elle et son conjoint.
On a acheté à quatre au départ.
Puis les terres n'étaient vraiment pas chères ici.
C'est pour ça qu'on s'est envenus ici.
On nous avait dit, on cherchait autour de Magog.
C'était pas accessible pour nous autres.
Et puis c'est ça. On venait d'une tournée pancanadienne de la minorité francophone.
Fait qu'on a acheté une terre
sans ordre pour 10 000 $.
10 000 $.
Ça coûterait un peu plus cher
que ça aujourd'hui.
Mets-en, ouais.
Puis pourquoi est-ce que vous cherchiez,
que vous souhaitiez sortir de la ville
à ce moment-là?
À l'époque, c'était ce qu'on appelait
le retour à la terre.
Et puis il y avait comme...
Je pense qu'on faisait partie
d'un mouvement collectif.
En même temps, ça se passait...
On était d'abord à Magog, où on avait ouvert un café
avec Richard Pouliot. C'était un café...
On appelait ça le Café Duquet. C'était un entrepôt
de Lucky One qu'on a transformé en café.
On était à repayer des tables, tout ça.
C'est là que t'as rencontré Serge Thierry et Michel Rivard
et compagnie. Oui, c'est ça. Mais c'était la
Canoe Bleue, à l'époque.
Ils venaient jouer là. Jimmy Bertrand,
Raoul Duguay, Michel Garneau.
Ensuite, il y avait aussi
toute une section d'auteurs
de faux seigneurs américains
qui étaient les Broad Dodgers,
qui fuyaient la gare du Viettab,
qui étaient installés dans les cantons d'Est.
C'était du monde. Il y avait cette atmosphère-là,
je peux dire, à la fois de communes, de collectifs.
Puis on n'ouvrait le café que l'été. Ça a duré pendant trois ans à peu près.
Et puis le café était devenu le lieu de rencontre.
C'est là qu'on avait rencontré Harmonium pour la première fois, avec les improvisations.
Puis la scène était ouverte, ça fait qu. On a eu droit à des bons jobs. À quel moment
tu t'es senti chez toi
pour la première fois ici à Saint-Venant?
Ça a été quand on a commencé
à avoir une réelle rencontre
avec les gens qui habitaient ici.
D'abord, il y avait
comme...
Il y avait une communauté de gens
qui étaient des agriculteurs,
d'autres qui faisaient de la culture du sapin.
Et puis nous autres, on est arrivés aussi en groupe.
Dans les années 70, ça a été la commune.
C'était des communes musicales.
On ne faisait pas de l'agriculture ou quoi que ce soit.
Et puis aussi, on avait des projets collectifs,
comme l'écriture de « Deux ennuis à l'heure », ça s'est fait ici.
Déjà, à l'époque de l'héptade,
Michel Normandeau avait acheté une maison dans le village.
Donc Serge était là souvent.
Michel Rivard était là aussi.
Ça se passait l'été.
Quand l'été arrivait, il y avait beaucoup de monde.
Et puis c'est ça, on a commencé à penser à un projet.
À l'époque, on était les trois à écrire pour ce projet-là.
Michel Guivard, Fiori et toi.
Oui, c'est ça.
Ça a failli être un projet à trois, Fiori Séguin.
Oui, parce que Michel avait commencé...
Bien, Michel, il travaillait tout le temps.
Vraiment, il était...
Des photos de lui,
il était toujours à la table en train d'écrire.
Il était bien, bien, bien...
Il avait une grande rigueur.
Que vous n'aviez pas forcément, Serge et toi.
Non, pas forcément.
Et puis, il y avait aussi le phénomène
que quand il arrivait ici,
c'était un espace à la fois de repos,
un espace communautaire.
En même temps, c'était comme se nettoyer,
se désintoxiquer de tout ce que la ville
pouvait nous apporter.
Mais c'est vrai qu'on sent,
ça fait peut-être une demi-heure qu'on est arrivé,
puis moi, je me sens déjà beaucoup plus calme que lorsque je suis parti de Montréal, il y a deux heures et demie.
Oui, moi, ça a été essentiel.
D'ailleurs, tout ce que j'ai écrit,
à l'acceptance de peut-être six ou sept chansons,
ça a toujours été composé ici.
Je ne sais pas si c'est une superstition,
mais à la longue, c'est comme tu te dis,
c'est mon ancrage.
Puis moi, je me considère pas comme un poète,
je me considère comme un artisan.
Je travaille avec la lenteur
que ces lieux-là m'inspirent.
Mais c'est intéressant parce qu'il y a plusieurs
de tes chansons, surtout dans les années...
fin des années 80, début des années 90,
qui parlent de l'urbanité, qui parlent de la ville.
Mais tu les as écrites ici, à Saint-Venant, aux, qui parle de l'urbanité, qui parle de la ville. Mais tu les as écrites ici,
à Saint-Venant, aux antipodes de l'urbanité.
Mais ça, c'est ça,
c'est le mystère de la création aussi.
Quand tu es loin de ça, souvent,
t'es plus près. Si on est en loin
de la ville, des fois, on s'en rapproche.
C'est comme une meilleure perspective
de ce qui peut se vivre en ville.
Souvent aussi, c'est comme quand j'arrive ici,
tu te trouves devant ta feuille et puis tu vois un paquet de gens que tu as côtoyés
durant la tournée puis je dis qu'ils sont... c'est le paradoxe de l'écriture.
Tu es seul, mais tu es entouré de tout ce que tu as vécu, tout ce que tu as côtoyé.
Puis au niveau de mes influences, c'est surtout la route avec les musiciens.
C'est eux autres qui m'apportent
mes plus grandes influences musicales.
Parce que quand on est en route,
on échange beaucoup.
Il y a beaucoup de découvertes
qu'on fait ensemble,
puis on suggère d'écouter ça.
Ou même eux autres ont déjà
des projets personnels.
L'influence musicale me vient
beaucoup d'eux autres beaucoup de mes musiciens.
En écoutant ton plus récent album,
je me demandais justement,
en écoutant la chanson Habité,
si tu avais entendu un groupe américain
qui s'appelle The War on Drugs.
Non, je ne connais pas ça.
Parce que cette chanson-là, ta chanson Habité,
ressemble beaucoup.
Ce que fait The War on Drugs ressemble pas mal
à ce que certains musiciens américains
faisaient dans les années 70-80.
Tout finit par se recycler et par revenir. Je t'enverrai un lien pour que tu écoutes Do-A-R-A-D.
C'est une chanson qui a été drôlement construite parce que j'ai découvert la guitare bariton.
C'est une guitare exceptionnelle.
C'est comme deux tons et demi plus bas qu'une guitare ordinaire.
Et puis, j'ai commencé à jouer avec ça.
La guitare nous suggère beaucoup
de créer des musiques en spirale.
Et puis, j'avais une série d'accords
qui roulaient tout le temps.
Et puis, quand François de Carcoy est arrivé,
c'est là qu'il a mis son piano.
Il a comme bouleversé un peu la chanson.
Pas la chanson, mais la trame musicale.
C'est quelque chose de très atmosphérique.
Exactement.
De très envoûtant.
Oui.
Et puis, je voulais avoir
ce genre de progression-là,
habiter, tu sais.
Je voulais habiter
beaucoup de choses qui m'entourent ici,
tu sais, quand on lit les paroles.
Avec une note d'espoir à la fin.
Je ne suis pas capable de tomber dans la... J'ai comme l'espoir à la fin. Je ne suis pas capable de tomber dans la...
J'ai comme l'espoir volontaire.
Je ne suis pas capable de laisser les gens
avec une note désespérée.
C'est une décision que tu prends
de rester du côté de l'espérance?
Parce que si tu laisses aller,
tu pourrais sombrer de l'autre côté?
Regarde le chaos dans lequel on vit, c'est facile
de dire, tu sais, si on y va de façon rationnelle,
on s'entend que
on est loin
de la perspective d'espérance.
Mais moi, j'aime quand l'effet
Miron, quand on a fait le projet
Miron, le collectif à
12 hommes rapaillés,
dans mon texte, moi je faisais
un texte de Miron, compagnon des Amériques, etés. Dans mon texte, moi, je faisais un texte de Miron,
compagnon des Amériques,
et puis dans son texte, il disait « Je serai porteur de ton espérance ».
Cette phrase-là, à ma compagnie, tu ne peux pas savoir.
« Je me ferai porteur de ton espérance ».
Puis même le mot « espérance »,
j'avais de la difficulté à l'assumer
avant Miron,
avant d'habiter les mots de Miron en chanson.
Je trouvais que ça se faisait trop judéo-chrétien
avec la culture qu'on a eue.
Mais à la lecture de ce texte-là,
puis la façon de le chanter,
être porteur d'espérance,
je trouve que ça donne toute une signification
de ce qu'on peut faire en tant qu'artiste,
puis au niveau même de la création.
Ça demande un gros effort de se tourner versiste, puis au niveau même de la création. Ça demande un gros effort de se
tourner vers un côté plus
lumineux de la création.
En tout cas, moi, c'est ce que j'ai choisi.
Je te pose une question
peut-être un petit peu étrange, mais quel genre
de vie spirituelle as-tu?
C'est une question qui est appropriée parce que présentement,
on est dans une église, mais il y a
plusieurs de tes chansons où il me semble
qu'il est question de ça.
Croire en cherchant son étoile. Oui, bien, il y a plusieurs de tes chansons où il me semble qu'il est question de ça. Croire, en cherchant son étoile.
Oui, bien, il y a une sacralité
païenne qui m'habite.
Et puis, je ne peux pas
nier, on a été élevés à l'étrovenneux
dans l'église catholique.
Tu sais,
toutes ces années-là.
On ne peut pas complètement s'en débarrasser.
Mon père chantait. Il y avait
deux sortes de musique à la maison.
Il y avait la musique de party
qu'il faisait avec ses frères,
ma tante Mairie,
Paul, mon grand-père au violon,
mon père jouait de l'accordéon.
Ça, c'était une musique
qu'eux autres faisaient.
Des rites écossais, des rites irlandais,
quelques chansons traditionnelles.
Et puis, il y avait la musique sacrée.
C'était le groupe des Séguins qui chantait à l'église.
Puis je me souviens, mon père qui répétait
les sept paroles du Christ, puis tout ça.
Ça fait que c'est sûr qu'on a été élevés de là-dedans.
Même toutes les références,
que ce soit des trompettes de Jéricho ou encore...
Des choses que...
Comment... J'avais fait une chanson terre de caen la terre de
caen puis je dis c'est très bien d'être une autre génération après cette terre de caen
c'est ça va pas de quoi je parle mais c'est non c'est sûr que je dis a eu... L'empreinte de la religion catholique
a été très forte sur la famille.
On s'en est détaché.
Dans les années 70, c'était l'ouverture
vers la méditation,
vers le monde oriental.
Après ça, c'était...
Non, je pense que c'est plus l'humanisme qui m'habite.
Mais tu as renoué avec le mot « espérance », grâce à Miron.
Oui.
Le décor de ton enfance, ça ressemblait à quoi?
C'était assez différent d'où on se trouve présentement.
Oui, parce que c'était des raffineries de pétrole.
Mon père travaillait dans les raffineries.
Il a dû quitter.
Dans ce temps-là, tu sais, dans la famille,
il y en avait un qui devait se sacrifier pour les autres.
Il choisissait quelqu'un qui allait travailler
et puis les autres pouvaient
poursuivre leurs études.
Mon père en a souffert de ça.
Je l'ai évoqué un peu dans la chanson
de Garage du dernier album.
C'était comme
quelqu'un qui n'avait pas pu réaliser ses rêves.
Il y avait un genre de frustration
silencieuse tout le temps. C'était des hommes de silence. Et puis, je pense qu'il portait
ça comme une blessure. Le travail de la raffinerie. On restait à côté d'une voie ferrée. Déjà,
ça en dit beaucoup, ça. La maison, une petite maison en carton, papier-brique.
C'était modeste, mais quand on a de la musique,
on ne sent aucunement l'effet de pauvreté.
La pauvreté se situe ailleurs pour moi.
Elle se situe dans le sens qu'avec des observations comme on n'a pas d'affaires là,
on n'est pas à la hauteur, c'est pas notre monde,
on ferait mieux de partir.
Il y a tout ce contexte-là
qui, pour moi, était l'image
de la pauvreté. Le fait
que la musique ait été...
D'abord, il y avait un piano. Ma mère
a fait en sorte qu'il y avait un piano dans la maison.
Mes soeurs ont appris le piano.
Moi, j'ai eu une guitare à 14 ans.
Et on n'a jamais subi
une résistance au fait
qu'on faisait de la musique. Au contraire, c'était comme pour eux,
pour mon père, pour la famille,
c'était comme naturel.
Il était même étonné qu'on puisse vivre avec ça.
C'était comme... Il n'y avait pas de cette résistance-là.
Je me souviens que Kathleen Dyson,
à un moment donné, une guitariste,
qui a joué avec nous autres à l'époque...
Kathleen Dyson, qui a joué avec Prince
après avoir joué avec Richard Seguin.
Oui, elle faisait la tournée de Journée d'Amérique
et quand on en parlait, elle disait
qu'elle a trouvé toute sa force
à force de résister
aux contraintes que son père
lui apportait. Dans le refus de son père.
Oui, elle ne voulait pas qu'elle joue de guitare.
On comparait un peu les parcours.
Un comme l'autre.
Un, c'est un peu insimulant. puis l'autre, la colère ou la résistance,
c'était aussi un stimulant pour elle de s'affirmer dans la musique.
Nous autres, ça a été naturel.
On a commencé juste Marie et moi.
Qu'on puisse faire le chemin de la chanson,
ça a été vraiment déterminant quand on a fait La Patriote.
On avait 16 ans à l'époque.
C'était à Saint-Agathe, c'est ça?
Non, c'était à Montréal.
On avait gagné le concours, Marie et moi,
et dans le concours, c'était qu'on faisait la première partie
de Juvignot pendant deux semaines.
Mais ça impliquait aussi qu'en faisant
la première partie, on pouvait rester là,
assister à son spectacle, et moi,
je m'occupais de sa loge.
On avait le droit, à la fin
des spectacles, d'aller dans sa loge
et puis là, il nous parlait
de notre interprétation.
Il nous parlait de Félix.
Il nous parlait de la portée des mots,
la portée des voyelles. Je me souviens
qu'une fois, il nous avait parlé sur
notre sentier près du ruisseau.
Il digérait par le mot.
Il y avait le mot
bouleau, il y avait le mot « eau ».
Il faisait tout le lien entre...
Il créait comme une symbolique
à travers cette voyelle.
Puis ça, juste en abordant
la chanson de Félix.
Durant ces deux mois-là,
c'est-à-dire ces deux semaines-là,
c'est comme s'il avait tracé un rideau
en disant « il y a un chemin qui s'appelle la chanson. »
À partir de ce moment-là, nous autres, Marie et moi,
pendant dix ans, on a travaillé ensemble,
on a fait la route ensemble.
– Bruce Springsteen, il raconte dans son autobiographie
que c'est ironique qu'il lui-même ait jamais eu de vrai job.
Il a toujours été musicien, mais il a raconté la vie,
le quotidien de l'humble travailleur, de l'ouvrier.
Puis la conclusion à laquelle il arrivait, c'est qu'il a raconté... Ce qu'il a raconté, c, le quotidien de l'humble travailleur, de l'ouvrier. Oui. Puis la conclusion à laquelle il arrivait, c'est qu'il a raconté…
ce qu'il a raconté, c'est la vie de son père qui, lui, travaillait en usine.
C'est ça.
Est-ce que ce serait la même chose, est-ce qu'on pourrait dire la même chose de ton parcours à toi?
Est-ce que tu as eu une vraie job avant la musique?
Ah, j'étais concierge.
Concierge. Est-ce que tu étais un bon concierge?
Ben, ils m'ont renvoyé.
Parce qu'on a notre réponse.
Je m'occupe. Ils trouvaient que je n'étais pas assez vaillant.
Il fallait que je balaie les planchers, nettoyer les fenêtres.
En tout cas, c'était un gros immeuble.
Il fallait que je prenne l'autobus pour y aller.
Ça a duré un été et demi.
Mais c'est un fait.
J'ai l'impression d'avoir donné la parole à une génération qui n'avait pas la parole.
C'est ça que moi, quand j'ai écrit La raffinerie,
je garde un cri sauvage tout au creux de ma cage.
Je garde un cri sauvage comme unique héritage.
C'était beaucoup, beaucoup ces silences refrognés
que j'avais envie de créer une rupture avec cette génération-là, puis en même temps
donner la parole à cette génération-là. Que c'était comme... mais c'était pas juste mon père,
hein, c'était mes oncles, c'était tout le monde qui faisait de la musique comme échappatoire,
si on peut dire. C'était vraiment pour eux autres un lieu de liberté, je pense.
Et puis oui, je me suis senti proche
de quartier aussi.
Le quartier où on était, c'était un quartier d'ouvriers.
Puis quand on est allé...
Quand on s'est en allé en campagne,
à l'âge de 8 ans, mon père avait construit un chalet.
Mais ironiquement, c'était tous les mêmes employés
de la référentiel qui s'en allaient en groupe
dans la même place, au Lac-Noir,
à Lens-à-Bary.
Ils se déplaçaient en groupe, ils s'aidaient
pour construire les chalets.
C'est là que j'ai découvert la nature.
On était loin des ruelles.
On était en pleine nature.
Et pendant longtemps,
quand je suis arrivé ici, je confondais ces deux lieux.
Dans mes rêves, c'était
la perception de l'enfance, de la nature, avec celle que je découv arrivé ici, je confondais ces deux lieux. Dans mes rêves, c'était la perception de l'enfance,
de la nature avec celle que je découvrais ici.
C'était tout mélangé.
Dans ma psyché, en tout cas,
ça avait une cohérence bien forte.
Puis ton père avait subi un accident de travail, c'est ça?
Oui, il est mort jeune, il est mort à 58 ans.
C'était un accident de travail à l'épaule.
Il a bourré de cortisone.
À l'époque, c'était les médecins de la compagnie qui...
Non, ça n'a pas été une belle époque parce qu'après ça,
il était très, très retiré, très jeune du travail,
à 50 quelques années.
Je ne me souviens plus, peut-être 51, 52 ans.
C'était une période où, tu sais ça, il était très, très silencieux.
C'était difficile pour ma mère.
Nous autres, on grandissait, puis ça l'avait brisé.
Ça l'avait brisé, ça.
Et l'accident, et l'affaire de ne pas travailler, puis tout ça.
C'est donc deux vies
très différentes, radicalement différentes,
celles que ton père a eues,
puis la tienne. Parce que ta vie,
on s'imagine que c'est une vie de très grande liberté.
La scène, c'est un lieu de liberté.
La création, c'est un lieu de liberté.
Et puis,
oui, je me sens privilégié.
Moi, je veux dire,
je dois tellement à la chanson.
La chanson,
elle m'a fait rencontrer du monde
que jamais je n'aurais rencontré dans ma vie.
Des auteurs, des poètes, des poétesses.
Elle m'a fait voyager.
Elle m'a fait rencontrer des musiciens,
partager la route avec eux.
Je suis bien, bien, bien reconnaissant à la chanson.
Puis la chanson,
moi, je pense que ça ne s'apprend pas.
Tu vas à la rencontre de toi-même.
Taureau disait, si je ne suis pas moi,
qui le sera, au départ?
Il faut trouver sa singularité.
Bien, pour se trouver, au départ.
Ensuite, il y a une phrase que j'aime beaucoup de Michel Garneau.
Je me souviens, quand j'ai commencé,
je trouve, à écrire plus sérieusement,
à peu près à l'époque de l'album Double Vie.
Michel Garneau écrivait,
« Les mots méritent qu'on les vive, sinon ils ne disent rien, ils trahissent le réel. »
Moi, j'avais écrit cette phrase-là sur mon bureau, c'était encadré.
Puis quand je commençais à écrire, je faisais toujours référence à cette phrase-là.
À partir de ce moment-là, le chemin
de l'écriture, le chemin de la chanson
a été bien, bien différent pour moi.
Ça a été...
On va fermer, Pop.
Qui est-ce qui coupe son arbre présentement,
Richard? Est-ce que tu le connais? Non, non, c'est une équipe qui est venue
travailler dans le sentier, puis
c'est magnifique, c'est des bénévoles.
Ils sont à peu près 6-7, puis ils viennent travailler autour du sentier. C'est magnifique. C'est des bénévoles. Ils sont à peu près 6-7.
Ils viennent travailler autour
du sentier.
Avec les vents qu'on a eus,
il y a eu une grosse tempête.
Beaucoup d'arbres renversés.
Je me suis fait une tendinite.
C'est de la guitare.
Ce n'est pas recommandé.
Tu viens de dire que tu as commencé
à écrire pour vrai avec Double Vie. C'est ton recommandé. Tu viens de dire que t'as commencé à écrire pour vrai
avec Double Vie. C'est ton troisième album en solo.
T'as fait des albums avant avec ta soeur, avec Les Séguins.
Oui, mais...
Qu'est-ce que ça veut dire, ça?
C'est un album collectif.
Les Séguins, c'était vraiment une commune.
C'était Francine Amnès, c'était Guy Ruché.
Écrire avec ma soeur, tu sais.
Forcément, il y avait été un aura de fraternité,
tu sais, de collectif aussi
après il a fallu
réapprendre à parler seul
ma soeur et moi
on parlait ensemble
elle complétait mes phrases, moi je complétais les siennes
on savait pas parler individuellement
ça c'est le phénomène des jumeaux
c'est un cadeau
et c'est pas juste un cadeau
c'est un cadeau d' c'est pas juste un cadeau.
C'est un cadeau d'avoir quelqu'un qui est capable de lire tes pensées,
compléter tes phrases à partir d'un mot.
Et d'un autre côté, il y a quelque chose
d'intriguant là-dedans,
c'est qu'avec le jumeau ou la jumelle,
il y a tellement une grande complicité
d'esprit et d'échange
que tu t'imagines
que tu peux reproduire ça avec d'autres gens,
dans tes amitiés. Autrement dit, ça a placé la barre très, très haute. Et puis, les
premiers temps, on vivait comme une déception d'amitié parce qu'on n'atteignait jamais
un genre de complicité comme ça.
C'est jamais aussi riche.
C'est ça. Et puis après, tu te décolles. Écoute, les jumeaux, c'est particulier.
Ça appartient juste à la jumelité, tu sais.
Puis c'est ça.
Mais après, il a fallu trouver chacun notre langage.
Et puis on continuait à reproduire des jumelités.
Marc-Claire travaillait avec Hélène Penaud.
Moi, je travaillais avec Fiori.
Encore là, il fallait que je trouve ma façon de dire des choses,
ma façon d'écrire, ma façon de...
Fait que c'est avec... C'est ça, j'ai appris lentement.
Au contact de Louki Bersianek, elle m'a donné des outils incroyables.
Après, ça a été une rencontre avec Marc Chabot.
Il écrit beaucoup de chansons avec Marc.
On écrivait aussi pour Luce Dufault.
Puis la première chanson qu'on a faite, Chabot puis moi,
c'était « L'ange vagabond ».
C'était le symposium de Jacky Roack à Québec.
Et puis Marc était arrivé
avec ce texte-là.
Marc-Claire et moi, on a fait la musique de L'Ange vagabond.
Ça a donné vraiment
quelque chose de très, très fort,
très signifiant. Puis en plus,
ça racontait le Canadien
français exilé.
Victor Lévis, au lieu, a déjà dit
qu'on n'a jamais, les Américains
comme les Français n'ont jamais
compris l'exil du Canadien français.
Il dit qu'on ne triche pas avec la pauvreté.
C'est vrai que je trouve
qu'il y avait une image de Jack Kerouac,
mais le Kerouac
qu'Alexis Martin a présenté
à Montréal,
c'est le Kerouac
du Canadien français exilé, avec
tous les déchireux qu'il peut porter en lui-même.
Oui, c'est moi le Jack Kiroak cool qui collabore avec des grands jazz bands.
C'est ça.
Louki Bersianic, quel rôle elle a joué dans ton amour des mots, dans ta découverte des mots?
D'abord, on était en rapport avec Luki Bersianek par Hélène
Pedneau, parce qu'à l'époque, on voulait adapter
en théâtre musical Le Gullion,
son livre majeur. Le grand roman de Luki Bersianek.
Oui. Et puis,
Hélène avait commencé à faire
un découpage. On se rencontrait,
on se voyait à peu près
durant un mois,
quatre, cinq séances d'écriture,
de découpage, tout ça. C'est un roman foisonnant.
C'est tellement riche. C'est plus par où commencer.
Si Hélène avait demandé
une bourse pour poursuivre tout ça,
elle ne l'avait pas obtenue.
C'était resté en suspens.
On va peut-être s'en prendre un peu plus tard.
Pendant ce temps-là,
Lucky et moi, on a commencé à travailler des chansons.
Et puis, ça a donné Chansons pour durer toujours
ça a donné
Traces et contrastes, ton deuxième album
tu l'as beaucoup écrit avec elle
beaucoup l'écriture de Luki
à ce moment-là, il m'a fait découvrir
ça c'était fascinant, c'était une femme
qui travaillait avec
ses outils, elle sortait plein plein de dictionnaires
va voir l'origine des mots
regarde le dictionnaire
elle m'a fait découvrir Gaston Bachelard
je ne connaissais pas
je suis en admiration pour Bachelard
parce qu'il parle des éléments
c'est celui qui a écrit
les plus beaux textes sur les graveurs
c'est l'ami des poètes
Bachelard c'est simple, c'est l'ami des poètes
ça m'a fait découvrir ça, le droit de rêver
puis à partir de là
elle me donnait des outils
de comment travailler,
comment aborder la chanson,
l'importance de la rime,
l'importance de la rythmique.
Tranquillement, j'ai commencé à apprendre
un peu plus, puis travailler un petit peu plus
le métier de l'écriture.
Puis vu que ça me prend
bien du temps, au départ,
je me sentais qu'il
y avait une certaine frustration. Je me disais comment ça se fait que je n'écris pas plus
vite? Comment ça se fait que je ne suis pas celui qui est capable d'écrire sur la route?
Comment ça se fait que...
Sur un rouleau, sur un interminable rouleau, comme Jacques Leroy.
Oui, oui, oui. Puis après ça, j'ai admis que ça me prenait du temps pour l'écriture.
Si ça prend 60 heures, si ça prend 110 heures,
je vais respecter le temps que ça va prendre.
J'avais à peu près 12 versions de la raffinerie.
Je me perdais dans bien des...
Même chose pour Double Vie.
Puis après ça, je pense que le fait d'être réconcilié avec...
Puis ici, on échappe
à l'accélération du temps.
Tu n'es pas pressé ici.
Je fais confiance au temps.
Je parle ici à Saint-Venant-de-Paquette,
dans les Appalaches,
entouré des ventes, dans la montagne.
C'est quelque chose
qui m'habite et que j'habite.
Je me passais la remarque
en parcourant ta carrière
qu'il y a plusieurs femmes
importantes qui ont été tes collaboratrices.
Oui.
Louki Bersianic, ta soeur, évidemment.
Oui.
Hélène Pedneau.
Hélène Pedneau.
Hélène Dallaire.
Hélène Dallaire.
Hélène Dorion.
Oui, Hélène Dorion,
qui a signé quelques textes
sur ton plus récent album.
J'ai été élevé à trois heures. Peut-être qu sur ton plus récent album. J'ai été élevé à trois heures.
Peut-être qu'il y a ça aussi.
J'ai été élevé à trois heures.
J'avais une puste.
Et puis, ma jumelle aussi, Marthe Lair.
Je ne sais pas si dans ma psyché,
ça peut influencer l'approche,
mais je me sens confortable de travailler.
La complicité s'installe facilement.
Et puis, je trouve qu'il y a une sensibilité,
je trouve qu'au niveau de l'écriture au féminin,
il y a une sensibilité beaucoup plus rapprochée
au niveau de l'écrit et l'intime.
Je trouve que les femmes vont plus loin
dans la description de l'intime.
Hélène Dallaire, je veux dire,
elle était tellement merveilleuse parce
qu'elle ouvrait beaucoup de portes. C'était la
première chef d'orchestre d'un
band de rock.
Ça a été la chef d'orchestre pendant plusieurs années. C'est elle qu'on voit dans le clip
de Journée d'Amérique, par exemple.
C'est presque pendant
neuf ans, c'est ça. Elle a commencé
en 85-86
jusqu'en
92-93.
C'est elle qui avait recruté les musiciens
avec qui je faisais la tournée, Kevin De Souza.
Formidable bassiste.
Kathleen Daston.
Kim Richardson.
Kim Richardson.
C'est elle qui, pour Kim,
avait trouvé l'appartement, avait trouvé les meubles.
Parce qu'elle arrivait de Toronto.
Oui.
Puis elle faisait...
Elle partait avec
Kevin de Souza, puis elle allait voir des spectacles
puis elle recrutait les musiciens de cette façon-là.
Fait que c'est elle qui a monté
le groupe.
C'est elle qui était chef.
Et puis, pour bien
des femmes,
de la voir
comme ça, tu sais, tout le drive l'avoir comme ça,
tout le drive qu'elle pouvait avoir,
ça parlait à une génération complète
de femmes qui
pouvaient assumer le rôle de chef.
Et un sourire inoubliable aussi.
Hein? Un sourire inoubliable.
Oui, oui.
Quand je pense à elle, je vois son sourire
dans le clip de Journée d'Amérique.
Absolument, oui.
C'est elle aussi qui amenait la plupart des arrangements.
Mais ça se faisait de façon collective.
Réjean Bouchard a une très, très, très grosse signature
guitaristique pour moi.
Quel guitariste?
Incroyable.
Là, Réjean ne peut plus jouer.
On évoquait cette période-là.
Réjean, pour moi,
un des plus grands guitaristes du Québec... Non, l'ange vagabond dont tu parlais, c'est lui.
Oui, c'est lui. La guitare qu'on entend beaucoup.
Il a fait
l'album de Journée d'Amérique,
il a fait Les portes du matin, Vagabondage,
puis comme réalisateur aussi.
Tout le travail qu'il a fait à Chloé Sainte-Marie,
tout ça, c'est...
Non, puis il a travaillé après beaucoup,
beaucoup avec
le studio Makoucham,
au niveau de la réalisation, puis des guitares
qu'il faisait et pour Florent et pour
Martin, puis les autres groupes.
Comment est-ce que ta relation avec
le peuple Innu est née?
Ah, bien déjà, on avait
une grande sensibilité.
Si tu veux parler du plan spirituel,
ça ne l'était pas.
Moi, je trouve que la spiritualité
est liée à la musique, le tambour,
la pulsation cardiaque,
le fait de marcher.
C'est un geste de résistance pour moi.
C'est un geste aussi
d'appartenance au territoire.
Tu découvres le territoire en marchant.
Quand Florent est arrivé à Montréal, c'était en 1986, je pense, avec Kajtin,
on avait été les voir en spectacle, ma blonde puis moi, puis tout ça.
Et puis Florent s'installait à deux rues de chez nous.
On n'avait pas de maison, un appartement à Outremont.
Il était à côté.
Puis là, je veux dire, tout de suite, j'ai connecté avec sa musique, un appartement à Outremont. Il était à côté. Puis là, je dis, tout de suite,
j'ai connecté avec sa musique,
puis j'ai présenté Montréal.
Fait qu'on est allés au sommet du Mont-Royal.
Ensuite, on est allés voir le spectacle de Nényon.
Wow!
Oui, j'avais eu des...
Ça, ça s'est passé dans la même soirée.
Robin Fogel m'avait donné des passes pour Nényang
puis c'était la tournée Crazy Hearts
et puis
je suis en train de penser que c'était pour être
le côté folk de Nényang
c'est bien, bien intime
quand il décide de monter le son de son ampli
ça sonne fort
on arrivait backstage
il nous avait donné des passes,
puis il était bien étonné parce que
les noms s'entouraient de beaucoup
des gens des Premières Nations.
Quand on est arrivé là,
il était en territoire de connaissance.
C'est full native.
Là, on s'est promenés,
le spectacle a commencé,
mais c'était de la distorsion
à coefficients en mille. c'était de la distorsion à coefficients 100 000.
C'était tellement fort.
Je ne t'attendais pas à ça.
On se promenait, on se promenait.
Dans les gradins, c'était dégagé.
En haut, c'était le forum à l'époque.
On voyait quelqu'un qui était tout seul
à côté d'un banc, les grands bras ouverts
et les yeux fermés.
Je te dis, il était tout seul
dans une série de bancs en haut.
« Non, on se rapproche, on se rapproche. »
C'était Richard Desjardins.
« Richard, qu'est-ce que tu fais ici? »
C'était fort, fort, fort.
Puis Richard dit, « Maudit qui s'est reposé. »
Fait que,
Florent, on restait un bout de temps avec...
Je le raconte dans le livre,
dans sa biographie, un petit passage.
Et puis,
après ça, il y avait au Club Soda
le spectacle de Mark Cohn.
Fait qu'on est allés voir Mark Cohn
walking in Memphis.
Puis tout ça, c'était un beau spectacle.
Et puis lui, en retour,
il m'a invité à marcher
à Mayotenam, à 270 km plus haut.
Il m'a invité à aller dans le bois
puis découvrir qu'est-ce que c'est être dans le bois.
À ce moment-là, ça a été comme vraiment une vraie amitié
qui se poursuit toujours jusqu'à 34 ans plus tard.
Mon collègue Alexandre Vigneault est allé faire
un reportage récemment à Malhotenam
avec les artistes de la région,
de la communauté Innu, Florent Voland notamment,
mais des artistes des plus jeunes générations
qui me disaient que pour tout le monde là-bas,
Richard Séguin, c'est une sorte de saint.
Tout le monde t'admire. Grand respect pour qui tu es
et pour ton travail.
Je te dirais, c'est pour les deux.
On se disait, Florent et moi,
que la musique avait le pouvoir
de réunir les communautés.
Puis on y croit encore, puis on le fait encore.
Par la musique,
il y a eu des échanges,
des échanges profonds,
des échanges réels, des échanges d'amitié,
de complicité,
puis des grands, grands partages.
Puis quand on allait là, quand on allait à Mayoté-Nam,
on a été initiés au sweat house,
avec tout le rituel de purification,
les pierres chaudes, puis la tente à suer,
puis avant de faire le spectacle.
Il y a plein, plein de rituels de partage
qu'on a découverts avec eux.
Et puis, c'est là aussi que Réjean
a connu le monde de
Mayoté-Nam, la création du studio
Makoucham. Ça s'est fait de façon
bien, bien, bien organique ensemble,
puis ça se poursuit encore aujourd'hui.
On va être, Florent
et moi, les porte-parole pour
l'édition
de Tite-Vallée,
comme passeurs.
Si on a quelque chose à dire, c'est justement que par la musique,
on peut créer des liens profonds, des liens qui vont...
des grands liens de fraternité.
Ça, j'y crois beaucoup.
En 1973, tu as participé à Montréal à un spectacle
pour dénoncer l'exploitation de la baie James.
Il y avait plusieurs grands personnages qui ont participé à Montréal à un spectacle pour dénoncer l'exploitation de la baie James. Il y avait plusieurs grands personnages
qui ont participé à ce spectacle.
– Joni Mitchell. – Joni Mitchell.
– Peter Pollen-Murray.
– Est-ce que tu les as rencontrés, ces gens-là, ce soir?
– Non, par contre, c'est le soir où on a rencontré
Pauline Junier et Gérald Godin.
Ils étaient venus dans la loge nous voir.
– C'est pas mal comme rencontre.
– Ah, c'était incroyable comme rencontre.
C'était d'abord de l'admiration.
Nous autres, on avait quoi? 20 ans?
21 ans? Mais c'était d'abord l'admiration. Nous autres, on avait 20 ans, 21 ans. Mais c'était en 1973. Je suis pas mal sûr que c'était en 1973. Je pensais que c'était plus tôt que ça. Mais c'est
la première fois qu'on chantait Sam Seguin, Martelard et moi. Et puis, ça avait été bien
fort comme ralliement. Puis je vous dis, c'était toutes les voix dissidentes
du projet de l'abbé James,
parce qu'il y avait une section des cris
qui reconnaissait que le territoire
était pour être inondé.
Il y avait toute cette réalité-là
qui n'était pas tellement affirmée.
Et puis, pour nous autres,
c'était un des premiers grands spectacles.
C'était au Centre Paul Sauvé, à l'époque.
Et puis, ça a été déterminant.
Puis la rencontre avec Pauline,
il était tout dans l'exaltation.
C'était comme un tourbillon.
Quand ils sont passés dans l'âge,
je me souviens juste que c'était comme un grand coup de vent,
puis beaucoup d'enthousiasme,
puis beaucoup de...
Je peux pas dire...
Qu'est-ce qu'on a parlé?
Est-ce que tu les as revus
après cette première rencontre?
Oui, on sait bien
qu'il y avait toute l'affirmation
avec le Parti québécois
et les grandes manifestations.
Mais aujourd'hui, par rapport
à la défense, disons,
de la cause autochtone,
on en est où selon toi? Parce qu'entre le moment
où tu es devenu ami avec Florent Voland,
aujourd'hui, on peut avoir l'impression
qu'il n'y a pas tellement de progrès
qui s'est fait. Il y en a eu du progrès,
mais quand on voit des événements comme
ce qui est arrivé avec Joyce Echaquan,
c'est difficile de ne pas désespérer.
Il y a une prise de conscience, en tout cas,
qui est là. Cette prise de conscience-là
éveille beaucoup, beaucoup de choses.
Puis moi, je vois
une renaissance incroyable de
toutes les Premières Nations, l'affirmation, le retour, l'urgence de garder la langue, l'urgence de garder les traditions.
C'est sûr qu'il y a eu un état de choc très, très, très fort.
Puis je dis, il y a eu aussi, il fallait reconnaître toutes les blessures.
Quand je dis que Florent porte un sac de douleur des ancêtres, c'est ça aussi.
J'ai vu à quel point comment ça a touché
plusieurs générations.
Toute la question des pensionnats,
tout ça,
c'est des blessures qui se transmettent
de génération en génération.
On a des mots pour nommer ces réalités-là,
traumatisme intergénérationnel,
alors qu'on ne savait pas comment décrire
cette chose-là.
J'allais jusqu'au génocide.
Moi, je n'ai pas peur de ce mot-là
pour ce qui concerne les Premières Nations.
Mais je trouve tellement vivifiant
ce qui est en train de se passer au niveau de la parole,
au niveau de la poésie, au niveau de l'écriture,
au niveau de l'expression.
C'est fort, c'est fort.
Je pense qu'on va apprendre encore beaucoup, beaucoup, beaucoup.
Ils peuvent nous apprendre beaucoup, beaucoup encore
sur notre relation avec l'humain, notre relation avec la nature,
notre relation avec l'idée du cercle,
avec leur spiritualité qu'ils peuvent amener.
Moi, je suis très, très, très reconnaissant aux Papineaux,
parce que c'est avec eux autres que je suis le plus poète.
Dans les années 80, puis au début des années 90,
tu étais une immense star.
Aujourd'hui, tu es encore une icône de la culture québécoise,
mais tu présentes pas des spectacles à grand déploiement.
Ça fait longtemps que t'as pas présenté
un grand spectacle extérieur.
C'est une décision que t'as prise à un certain moment?
C'est parce que je trouve que depuis à peu près
une dizaine d'années,
les chansons se prêtent moins à ça.
Les chansons se prêtent plus à l'intimité,
plus des salles que des festivals.
Au festival, il faut que tu vendes de la bière.
Je ne vends pas de bière.
Les organisateurs s'en plaignent.
C'est peut-être à cause
du répertoire.
Le répertoire, c'est beaucoup nuancé,
je trouve. Moins rock,
la place au mot,
même au niveau du tempo.
J'ai vraiment...
Il y a un virage beaucoup plus faux
qui s'est prononcé depuis...
Depuis Microclimat.
Depuis Microclimat, on travaillait carrément
avec un quadruple à l'accord à cette époque-là.
Ensuite, de ça, ça a été d'instinct.
Non, c'était pas d'instinct.
C'était lettre ouverte.
Ensuite, il y a eu Appalaches.
Appalaches aussi, c'était un grand tournoi.
Tu étais venu voir notre spectacle justement,
avec une critique qu'on a bien appréciée,
qu'on s'est changé entre musiciens,
regarde telle affaire.
Bon, tant mieux.
Mais d'instinct, c'est ton dernier vrai disque rock.
Oui.
Puis ça ne t'a jamais manqué de refaire de la scène
de cette manière-là,
en assumant davantage les guitares électriques?
Parce que tu pourrais aujourd'hui,
c'est vrai que ton répertoire actuel est plus dépouillé,
plus folk, mais tu pourrais partir en tournée
jouer Journée d'Amérique, Double Vie, L'Ange vagabond
avec les arrangements d'époque ou à peu près.
Puis ça, ça vendrait de la bière.
Non, mais je me verrais boire une bière
avec Journée d'Amérique qui joue.
Oui, oui.
Bien, on le fait encore en spectacle.
Il y a des incontournables.
Mais en général,
je trouve que...
Je me sens plus à l'aise
avec la nuance,
le rythme
des chansons,
l'aspect guitaristique plus folk.
Cette approche-là, c'est comme...
Puis moi, je ne suis pas nostalgique de ce que j'ai fait dans le passé.
Il y a des chansons qui traversent le temps,
puis que les gens m'écoutent ça,
je vous dis, ça me fait un devoir de les faire.
Mais tu sais, on donne beaucoup de place
à la parole, on donne beaucoup de place
à des longues introductions
avant les spectacles,
avant les chansons, je vous dis.
Non, ça ne me manque pas.
Ça ne me manque pas, ça.
Peut-être qu'un jour, je réunirais
beaucoup de guitar heroes ensemble.
Tous ceux qui ont...
Tous ceux avec qui j'ai travaillé.
Puis on pourrait monter un spectacle
plein de guitares.
Ou encore faire quelque chose
de façon collective. que jean la chance
jess maud déjà ce serait pas mal oui oui oui encore je travaille à cubo quoi qu'elle n'a
pas fait la dernière tournée je travaille avec simon rodin qui échappe de casse pour
nous pour la dernière tournée vincent vaillard m'a déjà parlé, sous le seau de la confidence, confidence que je vais briser à l'instant,
d'un projet de tournée que vous aviez,
toi, lui et Patrice Michaud.
Et Florent Volant.
Et Florent Volant.
Oui, les quatre ensemble.
Qui ne s'est pas concrétisé.
La pandémie est arrivée.
Et puis, on avait ça en tête de réunir deux générations.
Et puis, on avait évoqué les Woodburys un petit peu.
Les Traveling Woodburys, oui.
Les Traveling Woodburys québécois.
C'est ça, on pensait à eux autres.
Tu serais Dylan ou George Harrison
dans ce scénario-là.
Non, non, c'est justement ça. On essayait d'écarter
le rapprochement comme ça. Mais c'était
l'idée de se retrouver sur scène. On trouvait
que le temps musical,
la complicité qu'il y avait entre nous autres,
notre amour pour le folk,
nos références aussi.
On est des amoureux de Dylan,
de John Hyatt. Des références
qui sont assemblables.
On parle de Dylan, on parle de John Hyatt.
Est-ce qu'on peut parler un peu de Springsteen,
dont je suis un grand fan?
Oui, moi aussi.
Tu l'as rencontré, tu lui as prêté une guitare?
Oui, c'était encore par l'intermédiaire de Robin Fogel.
Springsteen était venu à Montréal
parce qu'il faisait
une tournée solo
et puis l'équipe technique se déplaçait
deux jours plus tard.
Lui, il arrivait plus tôt dans les villes.
Il en avait profité pour aller
dans les vêtements usagés,
les thrift stores.
C'est plus facile quand tu prends déjà
un coat qui est usé.
Un manteau en donnait neuf,
c'est trop rigide.
Il faut que quelqu'un l'ait cassé avant.
C'est ça. En tout cas, son manteau était bien cassé.
Et puis Springsteen est arrivé
et l'équipement était
resté avec le monde à Boston
et puis il avait demandé à Robin
s'il connaissait quelqu'un qui pourrait lui prêter une guitare
pour pratiquer dans la loge
Robin c'est qui?
Robin Fogel c'est l'associé de Michel Sabourin
c'est eux autres qui ont le club Soda
pendant longtemps
puis Robin s'occupait beaucoup plus de la section anglophone
au niveau du
du booking il tout ça.
Il y avait beaucoup de contacts avec tout ce monde-là.
C'est lui qui recevait souvent des tournées internationales.
Il m'avait demandé de passer une guitare.
J'ai repassé ma Gibson 1954.
Après ça, je suis allé la récupérer.
On a eu un échange dans l'âge autour de Kerouac,
parce qu'il ne savait pas que la famille venait
de Saint-Hubert-de-Rivière-du-Loup.
Et puis on parlait de tout ça.
La famille des Kerouacs s'est en allée à l'eau.
C'était un échange sympathique
puis on avait
une grande admiration pour les Guitars Gibson.
Une belle rencontre.
Parce qu'à cette époque-là,
il y avait
deux de mes chansons
qui avaient été traduites par Gary Usborne.
Ah oui, avec qui il a travaillé et réalisé quelques-uns de ses albums.
C'est un grand chanteur soul des années 60.
Springsteen a contribué à son retour dans les années 70.
Oui, en même temps, il rend hommage parce qu'il avait été inspiré par Gary Usborne.
Puis Gary avait pris Les portes du matin en anglais.
Ah oui?
Oui, Et tu marches et l'ange vagabond. Il avait choisi
trois chansons. Mais l'album n'est jamais
sorti. Il y avait des gros problèmes
de toxicomanie.
Je pense que la compagnie
avait laissé tomber.
Mais j'ai les chansons. C'était bien fait.
Il m'avait invité à aller à
New York en studio, jouer
de l'harmonica. J'étais tellement
impressionné que
il m'avait dit dans le talk-back,
quand on enregistrait,
«Give me some cotton blues!»
Pour me déjeuner, me mettre à l'aise.
Je vais jouer de l'harmonica là-dessus.
J'ai lu dans une entrevue que tu as accordée
que tu as déjà eu l'audace de jouer de l'harmonica
dans un spectacle en première partie de John Mayer,
qui est un des plus grands harmonicistes qui a jamais existé.
Oui, mais ça avait passé éternellement,
peut-être parce que c'est l'arrogance de mes 18 ans.
Et puis je faisais un long solo dans...
Tu as des souvenirs, toi, c'est incroyable.
Je faisais un gros, gros solo à la fin du Train du Nord.
Puis c'était dans le mode blues,
avec une harmonica assez classique
dans l'approche.
Mais je pense que c'était mon innocence
et mon enthousiasme
qui avaient fait que ça passait.
J'avais été abruti.
Mais on n'a pas parlé à Mayo.
Il n'a pas donné son approbation.
Il n'a pas désapprouvé non plus.
Je pense qu'il ne se préoccupait pas des premières parties.
Dans ton plus récent spectacle, tu cites Félix Leclerc
et tu dis « Je ne suis pas un chanteur,
je suis un homme qui chante ».
C'est quoi la différence entre un homme qui chante
et un chanteur?
En fait, c'est une citation de Félix.
Félix disait de lui-même « Je ne suis pas chanteur,
je suis l'homme qui chante ».
Pour moi, ça a une grande nuance parce que quand je pense à l'homme qui chante,
je le vois sur un terrain ou je le vois sur le bord de l'eau,
au bord du fleuve ou encore marcher dans un rang.
Et puis c'est l'homme heureux qui s'exprime en chantant.
C'est plus celui qui n'est pas dans le métier, je vais dire,
qui n'est pas dans le cycle de la tournée.
C'est l'homme heureux qui s'exprime en chantant.
Je pense que c'est un peu ça qu'il voulait dire.
Pour la chanson d'Hugo Latulippe,
je trouvais que ça évoquait exactement
ce type de chanson-là que je chante à Capella.
Volontairement, on aurait pu mettre une section de cuivre sur cette chanson-là.
Ça aurait été magnifique.
Mais je voulais absolument que ça reste à l'exemple,
comme je viens de te dire, l'homme qui chante.
Celui qui s'en va sur un rang
et qui apporte avec lui sa chanson à l'intérieur de lui,
proche du cœur et qu'il reconnaît par cœur.
C'est dans cette chanson-là que tu dis
que nos territoires sont des temples.
Nos territoires, oui.
Ce sont notre temple.
Ces territoires sont notre temple.
Comme ici.
Oui, on regarde par la fenêtre présentement
et c'est difficile de ne pas voir un temple.
Il y a une autre phrase de Félix
qui était chère.
Félix Leclerc qui disait que c'est un métier,
la chanson, où il faut plus souvent
dire non que oui.
Absolument. Moi, ça m'a pris du temps
à savoir que non était une phrase complète.
C'était...
Parce que tu...
Sur bien des aspects, on dirait
que quand tu...
D'abord,
t'es toujours souvent pris
dans la difficulté, justement, de dire non, d'accepter, d'être là.
Puis tu as aussi le mythe de dire que quand tu n'es pas là, tu n'existes pas.
Puis souvent, les tournées, après que les tournées sont finies,
il y a une poussée d'adrénaline qui fait que c'est difficile de rentrer dans tes terres,
rentrer dans le silence, rentrer loin de toute l'activité que tu viens de vivre,
puis de dire, c'est quoi le cycle avant que tout ça s'apaise?
Ici, ça m'aide beaucoup à m'apaiser.
C'est apaisant ici.
Le territoire m'appelle.
Et puis c'est ça, ça m'a pris du temps à dire non,
parce que tu n'es pas obligé d'être constamment en représentation.
L'aide de la représentation t'empêche d'aller dans l'introspection de ton écriture.
Parce que tu es toujours interrompu, tu es dans l'action, tu es dans le mouvement,
tu es dans les modes, tu es dans le goût de la semaine.
De m'éloigner de tout ça, d'abord ça me calme,
et puis ça me donne la chance aussi de penser à ce qui s'en vient au niveau de l'écriture,
comment je vais l'aborder.
On n'arrête jamais de penser à ça.
C'est fou, hein?
L'idée de la création est toujours là.
C'est pas néfaste, c'est pas lourd, mais c'est quand même toujours présent.
Il y a comme une phrase qui vient te chercher, il y a une impression, tout ça. Ou des musiques, ou des musiques qui t'habitent.
Tu vis constamment avec la création qui va venir.
T'es habité.
Oui, habité.
En rétrospective, à quoi est-ce que t'es heureux d'avoir dit non?
Aller à la télévision quand on te demande autre chose que de chanter.
Faire des recettes. Aller à la télévision quand on te demande autre chose que de chanter.
Faire des recettes.
Bien, te raconter.
Parce que c'est étrange.
Il y a peu de place pour la chanson dans les médias,
puis dans la télévision, même à la radio,
c'est comme si ça n'avait pas son importance.
Ça a été banalisé.
Ça se réduit tout le temps, tout le temps, tout le temps.
Puis même nos chansons à la télévision,
on va trouver que c'est trop long.
Trois minutes, c'est long.
Est-ce qu'on pourrait avoir la version écourtée
de la chanson de trois minutes?
Écourtée, donne-moi juste ton refrain,
ça va être correct.
Mais c'est une réalité.
C'est comme ça qu'on consomme la musique aujourd'hui
avec les plateformes d'écho-tendance.
C'est la grande tristesse.
Si les 30 premières secondes ne m'accrochent pas,
prochaine chanson.
Exactement.
Puis en plus, souvent, ça va être juste une chanson
sur tout un album.
Je suis encore celui qui achète des CD
pour avoir le concept au complet,
pouvoir lire les paroles,
les photos qui sont en écho avec la chanson, tout ça.
Et puis dire non, dire non, dire non
à des...
de prendre tes chansons, par exemple,
pour en faire des commerciaux.
Combien de fois qu'on a dit non à ça?
Ma blonde a dit, écoute, dis-toi-le une fois, là,
puis après, t'aurais pu te re-questionner.
On dit non.
Peu importe le montant,
ça serait toujours non.
On s'en fout, on a dit non,
on garde notre rôle.
Mais un gros spectacle à Saint-Jean, par exemple,
je suis sûr qu'on t'invite presque à chaque année.
Oui, oui.
Tu dis oui parfois, mais ça va te stresser,
ça va te rendre nerveux dans les semaines précédentes.
Même si t'en as fait des centaines de ces spectacles-là.
Viens dire, il n'y a pas de petits atterrissages.
C'est sûr que c'est énervant.
C'est sûr que tu y penses.
Puis encore, parce que je dis souvent,
on partage des chansons qu'on n'a pas faites
qui ne sont pas de notre répertoire.
Il y a tout ça où ça me rend nerveux.
Puis on dirait qu'avec le temps,
je n'ai pas envie d'être nerveux.
Je n'ai plus envie d'être nerveux.
C'est ce que je trouve difficile des fois. Ça fait que c'est sûr que je vais y aller avec ce que je fais de mieux,
avec mon spectacle, avec mes musiciens qui m'entourent.
Les musiciens m'apportent beaucoup.
Ils sont vraiment généreux.
Ils regardent les conditions, ils sont favorables.
Ils vont s'arranger pour que les pratiques soient faciles à faire.
On a fait une tournée tellement simple, heureuse, les conditions sont favorables, ils vont s'arranger pour que les pratiques soient faciles à faire.
On a fait une tournée tellement simple,
heureuse, beaucoup de partage.
On arrivait tôt avant le spectacle
pour pouvoir jouer ensemble,
pour improviser,
pour partager des musiques.
Il y en a qui faisaient de la musique de film,
l'autre qui est en train de faire un album
de guitare solo.
Tout ça bouillonnait de créativité.
Ça a été du vrai bonheur.
Il y a une chanson sur ton plus récent album
qui m'a fait pleurer.
Je suis sûr que je ne suis pas le seul qui a pleuré
en écoutant cette chanson-là.
C'est « Tout près des trembles ».
Moi, j'aime tellement cette chanson-là.
C'est une chanson au sujet pour ta mère?
J'avais jamais composé de chansons pour ma mère.
Et puis, mon père, oui, il y en a eu beaucoup.
Sur le bord de la traque, la raffinerie.
Mais ma mère,
comme je dis dans la chanson,
c'est elle qui a apporté la culture dans la maison.
C'est elle qui a fait en sorte
qu'il y avait des livres.
C'est elle qui écoutait Radio-Canada pour savoir s'il y avait des émissions
qu'on ne pouvait pas découvrir ou entendre des choses qu'on n'entendait pas ailleurs.
Et puis, ma mère était très, très catholique.
C'est pour ça qu'à la fin de la chanson, je l'ai mis dans son contexte à elle,
de sa croyance à elle, que le paradis, c'est la rencontre
de ceux qui sont décédés, puis que
tu vas partager avec eux
le plus beau de ce que tu as vécu,
le plus grand moment de bonheur, puis ça va être encore
magnifié, parce que je ne sais pas
comment dire autrement. Mais c'est généreux
que tu lui offres ce cadeau-là, alors que
je devine que tu n'y crois pas nécessairement,
toi, au paradis. Non, ça n'était pas
ma référence.
Mais je respecte
sa croyance, je trouve ça beau.
Elle était convaincue
qu'en mourant,
c'est ça, elle était la communion des saints
pour elle, c'était ça.
Elle était pour voir tous ceux
qu'elle avait aimé et qui l'avaient aimé.
Ça m'a fait du bien.
Ça m'a fait du bien.
Quand je dis
t'entendre parler de toi,
c'est une génération qui ne laissait rien.
Ils ne nous laissent pas
de témoignages écrits.
Ce n'est pas du monde d'écriture.
Souvent, avec mes soeurs,
on est ensemble et on essaie de racoler
tous les morceaux.
Le rapailler.
Oui, le rapailler. Qu'est-ce que t'as vécu avec elle?
C'est quoi qu'elle te dit? Ah oui, c'est ça
qui s'est passé ta journée. T'as fait tel voyage
avec elle. Elle t'avait confié ça.
Ma soeur a découvert un petit cahier de notes
qu'elle nous a tous...
Ma mère avait conservé des...
Ma mère avait remis des pensées
qu'elle écrivait ou qu'elle entendait à radio.
C'était précieux de le partager en groupe.
C'est tout ça. Et puis pour moi, c' à radio. C'était précieux, on le partageait en groupe.
Pour moi, c'était ça.
C'était tout près des 30.
C'est ta voix qui me manque, mais tout près des 30.
Je voudrais t'entendre parler de toi.
Parle-moi de comment tu as vécu cette période-là.
Comment tu as vécu la guerre?
Quand mon père partait,
quand il se promenait et qu'il faisait des fausses couches à répétition, trop nerveuse,
il y avait bien des pages
de sa vie qu'on connaissait
pas tellement, tu sais. Puis que
en parlant avec des tantes,
en parlant avec mes soeurs,
on a pu faire un portail de ma mère
qui était plus complet, tu sais.
Quand est-ce que tu penses à elle?
Bien, je chante sa chanson
tous les soirs. Fait que...
Non, je pense souvent à elle. Je pense souvent
à ce qu'elle nous a laissé.
C'est drôle, Mélanie Noël,
la poétesse, elle disait « Ils vivent à l'intérieur
de moi. »
C'est un fait.
Nos parents vivent à l'intérieur de nous.
Ils sont disparus, peut-être,
mais ils sont toujours là.
Je trouve qu'en vieillissant,
on s'en aperçoit encore plus.
C'est le genre de transmission
de bien ou de doute.
Je me sens plus prêt à deux autres,
même avec le temps qui passe.
Moi, je suis rendu à quoi? À 71 ans.
Il y en a plus en arrière de moi qu'en avant.
Serge Bouchard disait
qu'avec les années, le deuil s'enracine.
Oui, absolument.
Puis je vous dis, il faut être stupide
pour ne pas voir sa mortalité.
Voir ce qui est mortel autour de nous.
C'est de sentir,
de voir le fait
qu'on est mortel.
Je trouve que dans la question qu'est-ce qu'on leur laisse,
de voir à quel point on est mortel,
je pense qu'on se donnerait moins d'importance
et il y aurait plus de conscience de ce qui va nous suivre.
Ils te restent encore plusieurs années devant toi,
mais à quoi tu veux les occuper ces années-là?
Je ne sais pas si je vais avoir la santé.
C'est ce que je me dis toujours.
J'ai eu la santé de faire cette tournée-là.
Tu m'as l'air très en santé présentement.
Oui, oui, mais je fais attention.
Moi, je vis comme un moine en tournée.
Je ne bois pas, je ne sors pas.
Je fais attention à ce que je mange.
Je fais mes vocalises, je fais mes exercices.
Je suis dévoué à la chanson, au spectacle,
à la rencontre avec les gens,
avec tout ce que ça exige.
Ça, je le fais.
Mais je ne sais pas que... Jean-Louis Murat, il est à mon âge.
Oui, puis il nous a quittés hier
au moment où on a rejeté cette entrevue.
Exactement, il a 71 ans.
Non, j'y pense beaucoup,
mais je me vois écrire jusqu'à la fin de mes jours.
Je ne suis plus capable de chanter, c'est ça.
Je vais continuer d'écrire.
J'ai aussi beaucoup d'intérêt pour la graveur.
Mon atelier déborde de ce temps-ci.
Je n'ai pas eu le temps
de faire du nettoyage
et tout ça, mais j'ai hâte de retourner
à la graveur aussi.
Revenons en conclusion sur ce qu'on a évoqué
au début de notre conversation.
Michel Guivard, qui est ici à Saint-Venant,
il décide éventuellement de partir en Belgique,
si je me souviens bien,
parce qu'il avait trouvé l'amour là-bas.
Si Michel Rivard était resté à Saint-Venant
avec Richard Séguin et Serge Fiori,
est-ce que l'album aurait été meilleur?
Est-ce que l'album Fiori-Séguin-Rivard
aurait été meilleur que l'album de Fiori-Séguin?
Si, si, si, si, si, si, si, si.
Ça, c'est un des grands si
de l'histoire de la chanson québécoise, quand même.
Bien, il y avait des belles chansons.
Michel avait déjà commencé
à écrire Le Vent du fleuve,
qui devait se retrouver sur cet album-là.
Mais je te dirais que, oui,
ça aurait été différent parce qu'au départ,
l'album devait être juste
trois guitares et une contrebasse et trois voix.
Mais je pense que ça aurait mal servi les chansons à Serge.
Serge était... Bien, c'est Harmonium qui joue sur l'album.
Oui, il a rappelé à peu près tous les membres d'Harmonium.
C'est ça. C'est comme... C'est une signature d'Harmonium.
Et puis, c'est...
Oui, l'album aurait été différent.
Je pense que ça aurait été bon, parce que
on faisait de belles chansons.
Mais c'est ça. Ça aurait été un autre contexte.
Imagine les trois guitares,
trois voix, contrebasse.
Bien, il n'est pas trop tard. Vous pourriez faire
un album ensemble, tous les trois.
Vous êtes encore en bons termes.
Oui, on est en bons termes.
Je ne sais pas... Michel avance.
Je pense qu'il est dans sa créativité
et il nous apporte toujours des affaires nouvelles.
Serge,
il est proche
de toute sa réalisation,
qu'est-ce qu'il a fait, puis tout ça.
Moi, je penche toujours à mon prochain album.
J'aimerais aussi voir de mon vivant le théâtre musical...
De Roderick Walden.
...dédié à Thoreau.
Parce que je trouve que ce personnage-là,
dans l'histoire, je trouve, dans l'histoire philosophique,
il occupe une place très, très importante
puis il nous répond à des questions vitales aujourd'hui.
Thoreau a abordé la désobéissance civile,
le refus de la guerre,
l'émancipation
des Afro-Américains.
Tout ça...
Le rapport à la nature.
Le rapport à la nature.
Avec Warden, c'est Patrice Desbiens
qui disait que chaque poème
est une cabane devant un lac.
Encore en référence à Thoreau.
Il y a tellement de choses.
C'est multiple ce qu'on pourrait faire avec Cthoro.
C'est une réalisation.
J'ai travaillé fort là-dessus.
J'ai travaillé beaucoup d'heures
consacrées à ça.
J'aime bien la réalisation.
On l'a faite avec beaucoup de respect
pour le personnage.
J'espère un jour, j'aimerais savoir ça,
qu'on puisse voir ça sur scène.
Puis c'est un album qu'il faut écouter de A à Z.
On parlait tantôt de cette manière qu'on avait
d'écouter seulement 30 secondes d'une chanson
puis de passer à la suivante.
Retour à Walden, il faut l'écouter de A à Z.
Oui. Il y a beaucoup de monde qui m'ont dit,
on est parti de Montréal.
Bien, il y avait encore, je ne sais pas comment...
Il n'y a plus de lecteur CD dans les voitures maintenant.
Mais il l'avait écouté.
Il disait qu'on a fait le trajet avec Wadoun.
C'est en venu jusqu'ici.
Ça avait une cohérence.
Richard, le titre de mon balado, c'est
« Juste entre toi et moi ».
Ma dernière question sera la suivante.
Est-ce qu'il y a quelque chose que tu aimerais me dire
qui resterait juste entre toi et moi?
Eh bien, oui, parce que
j'ai accepté de faire
cette rencontre-là. Merci d'avoir accepté.
Oui, parce que je dis, t'es quelqu'un
qui écoute nos albums
avant de nous rencontrer.
Il me semble que c'est la moindre des choses, mais oui,
je fais ça pour vous. Ensuite, t'es quelqu'un qui est venu voir nos spectacles.
Ensuite de ça, il y a des critiques
de nos spectacles que t'as faites
que moi et mes musiciens, on a pris en considération
et puis pour toutes ces raisons-là
entre toi et moi
c'était normal qu'on se rencontre
pour moi, c'était pas normal
c'est un peu surréaliste
de passer un après-midi avec Richard Séguin
donc merci de nous avoir accueillis
c'est un honneur
juste entre toi et moi