Ouvre ton jeu avec Marie-Claude Barrette - #59 Kim Thúy | Ouvre ton jeu avec Marie-Claude Barrette
Episode Date: June 17, 2024Dans ce cinquante-neuvième épisode d’Ouvre ton jeu, je reçois l’écrivaine Kim Thúy. Cette femme sage à l’énergie contagieuse nous parle avec la plus grande authenticité de son adaptation... à une nouvelle culture, de sa vision de la famille et de la différence qu’a fait Valmond, son fils autiste, dans sa vie. Elle aborde également sa grande quête de liberté, la reconnaissance et les petites attentions qui font du bien. ━━━━━━━━━━━ 00:00:00 - Introduction 00:25:58 - Cartes vertes 01:01:20 - Cartes jaunes 01:39:51 - Cartes rouges 01:16:28 - Carte mauve ━━━━━━━━━━━ L'épisode est également disponible sur Patreon, Spotify, Apple Podcasts et les plateformes d'écoute en ligne. Vous aimez Ouvre ton jeu? C'est à votre tour d'ouvrir votre jeu avec la version jeu de société. Disponible dès maintenant partout au Québec et au https://www.randolph.ca/produit/ouvre-ton-jeu-fr/. Visitez mon site web : www.marie-claude.com et découvrez l'univers enrichissant du MarieClub, pour en apprendre sur l'humain dans tous ses états et visionner les épisodes d'Ouvre ton jeu, une semaine d’avance. ━━━━━━━━━━━ Ouvre ton jeu est présenté par Karine Joncas, la référence en matière de soins pour la peau, disponible dans près de 1000 pharmacies au Québec. Visitez le karinejoncas.ca et obtenez 15% de rabais avec le code ouvretonjeu15.
Transcript
Discussion (0)
Je ne suis pas supposée d'être ici.
Tu sais, le bateau, il s'est défait 15 minutes après qu'on a débarqué du bateau.
Et il s'est défait devant nos yeux, englouti dans la mer.
Devant tes yeux.
C'était grand comment, ton bateau?
10 mètres de long, on était 218 personnes.
En tout cas, on était nombreux, disons.
Heureusement, tu sais, les Vietnamiens, on est plus petits.
Donc, tu peux en mettre plus.
Mais vous avez vu le bateau?
Oui, parce qu'il y a une pluie qui est descendue,
puis les vagues étaient un peu plus grosses.
Une pluie normale, mais la mer était un petit peu plus mouvementée
et les planches ont sauté.
Toc, toc, toc.
Parce que le bateau n'était pas fait pour être en haute mer, si tu veux.
Et donc, on a eu la chance d'avoir améri avant que la pluie tombe.
Mais tu es encore sur la plage, tu viens de débarquer, ton linge est encore mouillé,
et tu vois le bateau partir.
Donc, tu sais que 15 minutes de plus, je ne serais pas ici avec toi.
Ouvre ton jeu est présenté par Karine Jonca, la référence en matière
de soins pour la peau, disponible
dans près de 1000 pharmacies au Québec.
Le jeu de table Ouvre ton jeu
est disponible partout en magasin
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Bonjour tout le monde.
Aujourd'hui, je suis avec une femme
libre et libérée, je trouve.
Depuis le premier jour
où je l'ai rencontrée,
j'ai vraiment eu un coup de cœur
pour son intelligence émotionnelle,
son intelligence tout court.
C'est une femme allumée, qui s'intéresse
à tout, qui a le goût de tout,
qui a touché à plusieurs choses
dans sa vie. Ce que j'aime,
c'est qu'on dirait qu'elle ne cherche pas
un parcours linéaire.
Alors, c'est une rencontre que j'attendais
depuis longtemps. Bienvenue, Kim Thuy.
Oh mon Dieu, c'est la plus
belle introduction, je trouve,
aux présentations. T'as utilisé
deux adjectifs que j'adore.
Libre et libérée. C'est deux choses différentes.
On est d'accord? On peut être libéré
sans savoir comment être libre.
Puis on peut être libre, mais pas
se sentir en même temps
tout à fait libéré. Donc c'est vrai
que ces deux mots-là sont pas
synonymes tant que ça.
Non, absolument. Puis toi, je te sens
libre et libéré.
Libéré, ça veut dire qu'on s'est pas toujours sentiée. Libérée, ça veut dire qu'on ne s'est pas toujours
senti libre aussi.
Libérée, ça veut dire qu'il y a eu
une prise de conscience à un moment donné.
Il y a eu des choses, des décisions
à prendre pour...
Parce que ça paraît quand quelqu'un
comme toi, je trouve,
est libéré parce qu'il y a
comme des couches d'expérience.
Il y a une sagesse qui s'installe
aussi à travers tout ça.
Tu dois te dégager, en fait,
des contraintes qui ont toujours été là.
Le mot qu'on utilise,
je sais que c'est compris de toutes
sortes de manières, mais
de façon systémique, dans le sens où
socialement, on a toutes sortes de rites,
de coutumes, de morses
qui ont l'air en sorte qu'on
les suit sans questionner.
Sans se questionner.
On prend pour acquis les choses.
Oui, puis je me souviens de
Ricardo qui racontait qu'on coupait
toujours le jambon des deux bouts, puis il
ne comprenait pas pourquoi on cuisait toujours le jambon
en coupant les deux bouts.
En faisant la recherche et tout ça,
il a vu, ah, c'est juste parce que les chadrons,
à l'époque, étaient trop petits.
Donc, on coupait le jambon pour que ça rentre dans le chadron,
tu vois.
Donc là, elle dit, bien, quand elle t'a compris ça,
tu dis, bien, t'as pas besoin de couper les deux bouts.
Ton chadron est assez gros maintenant.
Et donc, c'est ça, c'est de remettre en question
toujours ce qu'on est
en train de faire, pourquoi on le fait.
Puis on peut être d'accord avec le rythme,
on peut être d'accord avec cette contrainte-là,
mais c'est par choix.
Et donc, oui, on va se plier
ou sinon suivre
la contrainte, mais de façon libérée.
Ou délibérée même.
– Et ça, t'en as pris conscience
rapidement dans ta vie
que tu pouvais remettre les choses en question?
Je pense que j'avais pas le choix
parce que je viens
d'une culture très
différente, si tu veux. J'ai été élevée jusqu'à
l'âge de 10 ans avec la culture vietnamienne
seulement. Donc, quand
on arrive ici, on acquiert une nouvelle
culture. Et là, soudainement, t'as
un comparatif. T'sais, quand t'as toujours bu de l'eau
et que t'as jamais bu du thé,
tu compares pas. C'est seulement une fois
que tu bois du thé, tu te dis, ah, l'eau goûte
vraiment différent que du thé.
Qu'est-ce que je préfère?
Là, tu sais, bien, il y a pas de préférence.
C'est des moments. Il y a des moments où t'as envie
de prendre un thé, puis d'autres moments,
t'as envie de prendre de l'eau. Tout simplement.
Mais de connaître cette différence-là, donc la chance que j'ai eue, c'est d'avoir une, tu as envie de prendre de l'eau. Tout simplement. Mais de connaître cette différence-là. Donc, la chance que j'ai eue,
c'est d'avoir une deuxième culture
qui me permet
de mettre en lumière l'une
et l'autre des deux cultures.
Tu te dis, ah, comment ça, au Québec,
on pèle vers l'intérieur,
puis les Vietnamiens, on pèle vers l'extérieur.
Le résultat est le même.
Mais qu'est-ce qu'on adopte? Pourquoi?
Tu sais, ça fait ça. Ah? D'où ça vient cette idée
de peler en avant
ou en arrière?
Et parce que j'ai vu ça quand je suis venu
d'arriver au Québec, puis je trouvais ça très étrange.
Tu vois, je suis toujours pas capable
de peler vers l'intérieur.
Écoute-moi, coupe!
C'est ça, tu vois des choses que
si on n'a pas vécu, par exemple, dans la culture vietnamienne, ça se peut qu'on ne voit jamais.
C'est ça, tu ne te poses pas la question.
Je ne me positionne pas par rapport à ça, parce que je connais juste ça.
Exactement, tu n'as jamais pensé
que c'est possible de poler d'un bord, n'est-ce pas?
Et parce que j'ai vu ça,
j'ai remarqué que les livres en français,
les mots,
les pines de livres,
ça va de bas vers le haut,
puis l'anglais de haut vers le bas.
Ah, j'avais raison,
il y a des livres ici.
Le français, c'est de bas vers le haut
puis regarde l'anglais à côté,
c'est de haut vers le bas.
Soudainement,
tu vois toutes sortes de possibilités
que même dans un espace aussi restreint,
c'est tout petit, les pines du livre.
Il y a un code. Il y a un code.
Et pourquoi une culture a adopté un sens,
puis l'autre dans l'autre sens?
Et c'est là où tu dis,
ah, puis moi, je suis dans quel sens?
Soudainement, tu te dis, ah, j'ai le choix.
Il y a un choix.
Et ça, ça fait en sorte que tu questionnes
de plus en plus sur tout.
Tu sais, quand on venait d'arriver,
j'étais peut-être en secondaire 2 ou 3,
tu sais, les cours sur la sexualité commençaient.
– Initiation à la sexualité.
– C'était quoi le titre, là, ma petite ancienne?
– Oui, oui, absolument.
– Oui, on était de la même époque, là, je pense.
Et il fallait que les parents signent
un document
pour permettre aux enfants d'y aller.
Puis mes parents ont refusé.
Puis moi, à cet âge-là, je voulais être juste comme tout le monde.
Je voulais juste suivre le cours comme tout le monde.
Puis là, mes parents ont dit,
« Non, tu n'as pas besoin de ce cours-là, voyons. »
Je commençais, je n'ai pas besoin.
Puis là, je commençais à argumenter sur la notion de la virginité.
Qu'est-ce que c'est que la virginité?
Tu vois?
Alors que si tu es Québécoise,
tu n'as peut-être pas besoin de te questionner sur
« Ah, on doit-tu être vierge, pas vierge,
avant le mariage? »
Tu vois?
Et là, mes parents ont été confrontés
à cette question-là.
Parce qu'eux, ils arrivaient avec, justement,
leur culture, leur vision.
Bien oui, et d'une autre époque aussi,
comme nous.
Bien oui, mais tu sais, en même temps,
je connais plusieurs personnes
de deuxième génération
que leurs parents ont vécu dans un autre pays,
ils ont eu des enfants ici,
et j'ai remarqué souvent,
je ne veux pas généraliser, mais que les parents restent avec l'image du pays, ils ont eu des enfants ici. Et j'ai remarqué souvent, souvent, je veux pas généraliser,
mais que les parents restent
avec l'image du pays qu'ils ont quitté.
Sans que ce pays-là ait comme
évolué comme le pays dans lequel
ils ont choisi de continuer d'évoluer.
Mais oui, c'est sûr.
Mes parents parlent encore avec le
Vietnamien des années 70
qu'on a quitté.
Mais ils n'ont pas vu le vietnamien
qui a évolué
comme la langue québécoise
d'aujourd'hui, il y a 50 ans.
C'est pas la même langue.
Donc comme enfant qui a vécu ça,
est-ce que ça, c'est difficile, cette période-là?
Est-ce que ça a été difficile?
Non, je te dirais, je les remercie
beaucoup, encore aujourd'hui,
d'avoir préservé,
de nous
avoir continué
à transmettre cette culture-là
qui me permet justement de faire
cette comparaison, de questionner, d'aller
vers l'avant et de ne pas
renier quoi que ce soit.
Parce que si tu renie
cette culture-là, tu renie
une part de qui je suis.
Je suis en train de renier les dix premières
années de ma vie et mon visage,
mon physique, je peux rien changer
de ce physique-là. Et pourquoi
est-ce qu'on doit renier alors qu'on vit
dans un pays qui ne nous demande pas
de le faire? Tu sais, il y a des
pays où, aux États-Unis, tu peux avoir juste
un passeport américain.
Tu dois renoncer à toutes tes autres
citoyennetés si tu demandes la citoyenneté
américaine. La citoyenneté
canadienne ne te demande pas ça.
Tu peux être aussi français
et canadien. Tu peux être
vietnamien et canadien si tu veux.
Mais les Vietnamiens ne veulent pas.
Eux, c'est exclusif aussi. C'est juste
vietnamien, tu vois. Donc, on est dans un
pays extraordinaire qui
nous offre cette
possibilité d'être
plusieurs.
Je pense que c'est Baldwin
qui a écrit à un moment donné
« I am multitudes ». On est
plusieurs. On n'est pas...
Oui, moi,
je me considère femme
dans un corps de femme,
orientation sexuelle,
femme hétéro et tout ça.
Mais ça ne veut pas dire qu'il y a des moments
où peut-être qu'on trouve
un peu penché
vers le masculin.
Ou parfois penché un petit peu
vers enfant.
Des fois, je suis Martine à la plage.
Mais j'aime ce que tu dis, parce que
c'est le large spectre de l'humain,
de nos états d'âme, nos états d'esprit
qui, des fois, ne paraissent pas,
mais qu'on ressent à l'intérieur.
Tout à fait.
Puis on doit se donner le droit de,
des moments où je suis tout à fait vietnamienne
dans mes valeurs, dans ma façon d'exprimer.
Je sais que quand j'écris,
je suis très vietnamienne, en fait. Même si j'écris
en français, je réfléchis en français,
le rythme de la langue
vient du vietnamien.
Pourquoi? Parce que quand tu écris,
tu le sais, on doit
être silencieux.
On n'a pas le choix. On est
tout seul avec les mots. Et il faut
s'entendre,
réfléchir, en fait.
Et dans ce cas-là, je retombe
dans la petite fille vietnamienne
que j'étais. C'est-à-dire
la petite fille très silencieuse
que j'étais. Oui, je suis née timide,
mais en plus, tu vois, entre
l'âge de 7 ans à 10 ans,
j'ai vécu avec les communistes
et c'était la période où
on n'avait pas le droit de rien dire.
Et dans quel sens? C'est que
même à 7 ans,
je devais me lever au milieu
de la classe et dénoncer
un acte révolutionnaire,
anti-révolutionnaire, anti-culturel
ou anti-patriotique.
Une fois par semaine. Tu te lèves,
puis à 7 ans, t'as qui
à dénoncer? Tes parents?
Ta famille? C'est tout.
Et donc, à la maison,
il faut pas que
les gens parlent
pour que les autres portent le poids de l'information.
Parce qu'une fois
que tu sais que ton père a lu un livre
interdit,
il faut que tu mentes.
Et il faut beaucoup de force pour mentir.
Tu vois?
Surtout pour une petite fille.
Parce que tu veux protéger ton parent.
C'est un conflit de loyauté incroyable.
Mais oui, mais t'es obligée.
Alors, tout le monde,
on portait...
Et donc, à la maison, le plus possible, tu parles pas.
OK? Et quand tu parles pas,
ben, t'identifies pas tes émotions,
tu n'identifies pas tes sensations,
tu n'apprends pas ces mots-là.
Et ça, pendant trois ans, de sept ans à dix ans,
c'est beaucoup pour la formation d'une personne.
C'est l'âge où tu identifies les émotions.
Et donc, je n'avais pas de mots pour rien. Quand t'as pas de mots
pour identifier ton émotion,
l'émotion n'existe pas.
Tu sais, quand tu connais pas
le mot frustration.
Tu sais pas que t'es frustrée. Mais tu sais que tu vis
quelque chose intérieurement qui est pas confortable.
C'est ça. T'es juste pas confortable.
Tout le temps.
Et en fait, le sentiment
le plus commun
ou constant, c'est la peur.
Parce qu'on vivait avec
des communistes dans notre maison,
à l'intérieur de la maison. Il y avait
10 soldats qui vivaient avec nous.
Donc, on était sous surveillance
24 heures sur 24.
Avais-tu peur de mourir? Pas à ce moment-là.
La peur de mourir est sur le bateau.
Tu vois?
Mais je ne sais même pas si c'est la peur,
parce qu'on avait déjà accepté
qu'on s'en va vers la mort.
On était préparés à ça.
Dans le sens où mon père,
il savait tellement que ça allait être pénible
qu'il avait apporté avec lui des pilules de cyanure.
OK? Donc, si on rencontrait des pirates,
si on se faisait attraper par la police,
on pouvait mourir très rapidement.
Donc, ils m'ont montré comment mourir rapidement.
C'est-à-dire, il fallait pas avaler la pilule,
il fallait mettre sous la langue.
Et fermer la bouche.
Oui, puis ça, en quelques secondes,
ça a l'air que ça passe plus vite en dessous de la langue.
Et à 10 ans, t'apprends comment mourir.
C'est quand même fou.
Donc, tu peux pas...
T'apprends qu'il y a une mort.
T'apprends que tu t'en vas vers la mort.
Et voici la méthode la plus rapide pour le faire.
Et oui, tu sais, sur le coup,
t'es dans l'instinct de
survie, en fait. Non, tu réfléchis
pas à la peur. Tu sais juste que
voici les gestes à faire.
C'est seulement après
que tu as des mots pour identifier
ce moment-là
ou ces émotions-là.
Mais pas sur le coup.
Dans la maison
dont il y avait dix soldats
qui sont allés vivre avec vous,
est-ce que tu as vu tes parents
changer comme enfants?
Tout le monde. Tout le monde
devait changer. On n'avait
pas le choix. C'est quoi avant? C'est quoi
votre vie avant? Avant,
on était très choyés
dans le sens où on faisait partie
de ceux qui avaient la chance d'avoir accès aux livres.
On avait énormément de livres à la maison.
Parce qu'il faut penser...
Parce que c'était la bourgeoisie.
Vous faisiez partie de la bourgeoisie.
Vous connaissez un peu l'histoire du Vietnam,
mais c'est les bourgeois qui étaient visés.
C'est ceux qui avaient l'éducation.
Tous ceux qui étaient considérés comme étant capitalistes.
Donc, si tu as une maison de plus d'un étage,
on s'entend, c'est pas grand-chose.
Et puis, tout ce qui est,
comme tu dis, qui avait été...
qui avait reçu une éducation quelconque.
Et donc, tout de suite,
tu fais partie de... Tu sais, puis on réalise
pas... Ici, on parle de la classe
moyenne, qui est très grande.
Dans des pays en zone de
conflit, il y a pas cette classe moyenne. est très grande. Dans des pays en zone de conflit, il n'y a pas cette classe
moyenne. C'est soit
dans la misère,
soit tu réussis à
sortir du lot.
Mais la classe moyenne est très,
très petite. Alors que nous,
ici, c'est la classe moyenne.
Elle est très importante.
Et donc, dans une zone de conflit,
le livre est un objet de luxe.
Dans un pays pauvre aussi, le livre...
Puis on recule d'il y a quand même 50 ans.
C'était extraordinaire d'avoir autant de livres à la maison.
Et donc, oui, je faisais partie
des extrêmement privilégiés du Vietnam,
d'avoir accès à une très bonne éducation,
d'avoir accès à des livres,
d'être entourée d'une famille extraordinaire, je dois dire.
Donc, j'ai appris beaucoup, même juste à être autour de la table.
Donc, oui, c'était très choyé.
C'est un avant et un après déterminant dans une vie.
Oui, ben oui.
C'était drastique. Parce que pour tes parents aussi,
j'imagine de vouloir protéger les enfants.
Pour un parent de vivre ça
aussi, de dire, il y a mes
enfants qui sont là,
c'est quoi la suite?
Oui, puis tu cherches juste
la suite, mais la suite dans un
contexte de ce genre-là,
c'est même juste manger.
Parce que tout devenait rationné
par le gouvernement. Dans
les années les plus dures, c'est
100 grammes de porc par famille
et par mois, donc une boulette de
viande, par
famille et par mois. Donc, ne serait-ce
que comment faire pour acheter au marché noir
et nourrir la famille.
Tu vois, comment cacher ton or
pour, tu sais,
des tailles d'or.
Je me souviens des feuilles d'or
que mon père, il défaisait
les tuiles dans la salle de bain
puis il cachait les feuilles d'or en dessous.
On n'avait pas de place où cacher.
Toutes les armoires étaient fermées
par le gouvernement.
On avait, tu sais, t'as pas...
Tu sais même pas où cacher tes choses.
Tes choses.
Puis il y a un sac de bijoux
qu'on a caché dans...
Pas de l'entretois, mais tu vois,
les piliers sur la terrasse, le toit,
quelqu'un nous a vus
et ça a été confisqué.
Donc, tu sais, c'est compliqué, là.
Ne serait-ce que juste cacher tes affaires,
cacher des diamants.
Tu sais, c'est tout petit.
Et même, là, c'était difficile.
Quand tu me racontes ça, Kim,
as-tu l'impression que tu l'as vraiment vécu?
Non.
Pour moi, c'est comme si c'était presque...
Des fois, je me pense, je me dis,
est-ce que ça a vraiment existé
mais
mes histoires si tu veux
sont validées par toute la famille
on était tellement nombreux
tellement une autre réalité
ce que tu racontes
toi t'es devant moi, t'es toute jeune, tu me racontes ça
ça s'est vécu
il y a pas si longtemps
on parle pas d'il y a 300 ans
c'est dans lau il n'y a pas si longtemps. On ne parle pas d'il y a 300 ans.
C'est dans la même vie.
Dans ta vie,
tantôt, je disais que tu n'avais pas une vie linéaire.
Je n'ai pas l'impression que tu cherches non plus à avoir une vie linéaire,
mais juste que ce que tu viens de raconter,
c'est captivant.
Parce que toi,
ce n'est pas un livre que je lis,
ce n'est pas un roman.
C'est ton récit de vie.
Oui, mais en même temps,
tu vois, la chance que...
Ou sinon, je me suis donné
la liberté d'emmener
ces histoires-là
pas de façon historique,
c'est-à-dire avec des dates, avec le nombre de...
Rien.
De se donner la liberté
de jouer avec les mots aussi.
D'aimer les mots.
Parce que mon premier amour,
c'était pas pour l'histoire.
C'était pour être avec les mots.
Et la différence est là, je te dirais.
Mais quand tantôt tu disais
j'écris comme une Vietnamienne,
c'est quoi la différence?
Tu disais que c'est une question
de rythme à ce moment-là?
Oui, de retomber dans ce silence-là.
Que tu as connu.
Oui, d'être la petite fille silencieuse
que j'étais. Parce que oui, on était
silencieux dans la famille,
parce qu'on ne devait pas se parler,
mais si tu es silencieuse
dans ta famille, tu dois être silencieuse aussi dans ton
quartier, dans ta ville,
dans le pays. Donc, le pays
au complet était dans le silence.
C'est extraordinaire quand même
d'être élevée dans le silence.
Donc, l'écriture
est silencieuse.
Mais ça prend de l'importance aussi, l'écriture.
Extrêmement. Et c'est là
où je te dirais, si je n'avais pas eu
ces années-là, et que j'étais
juste ce que je suis aujourd'hui, ce que je suis devenue, la version québécoise de moi-même si je n'avais pas eu ces années-là, et que j'étais juste ce que je suis aujourd'hui,
ce que je suis devenue, la version québécoise de moi-même,
je n'aurais pas pu écrire.
Parce que si tu n'as pas ce silence-là,
tu n'as pas le temps d'observer.
Et l'observation, pourquoi?
Parce que quand tu vis sous surveillance,
tu observes les policiers qui t'observent,
mais tu observes aussi chacun de tes gestes
parce que tu sais qu'ils te voient.
Alors, il faut que dans tes mouvements à toi,
tu sois consciente de chacun des mots que tu dis,
chacun des gestes que tu fais.
Chaque morceau de viande du marché noir que tu manges,
tu le sais que c'est du marché noir et que c'est illégal.
Tu le goûtes, ton morceau de vi viande parce que tu sais d'où il vient.
C'est beaucoup de peine, beaucoup de peine d'effort
pour arriver à cette petite tranche de viande-là.
Et donc, tu mastiques longtemps dans ta bouche
pour que tu honores, en fait, l'effort de tout le monde.
Pas seulement de mes parents pour aller l'acheter, mais
du fermier qui a caché le poisson,
le cochon,
puis la vendeuse qui a attaché
la viande sur son corps pour venir
jusqu'à chez toi.
Il y a tellement d'efforts
pour arriver jusqu'à là.
Tu deviens super conscient.
Je ne sais pas comment tu dis ça, mais
hyper conscient de tout
ce qui se passe autour de toi.
Et c'est grâce à ça que tu peux t'asseoir
et écrire par là-dessus.
Je comprends davantage
ta façon d'écrire les choses
une fois que tu me racontes ça.
Oui, tu vois le processus.
Oui, parce que tu as une façon d'écrire qui est unique.
Tu sais, moi, je me souviens quand j'ai lu Rue
la sensation que j'ai eu Kim
c'est d'être dans ta tête
parce que quand on pense on n'est pas
non plus il n'y a pas une direction linéaire
on est stroboscopique dans notre tête
on se revient on pense à quelque chose
on revient on pense à quoi on fait un lien
on revient en arrière et je me souviens
que c'est ce qui m'avait autant happé
dans ton écriture.
La sensation d'être dans ta tête,
de te connaître et toutes ces descriptions.
C'est vraiment comme si on rentrait en toi
puis on vivait à travers
tes mots ce que t'as vécu.
On voyage.
C'est un don que t'as aussi.
Ou une liberté.
La liberté, mais de trouver la bonne façon de le dire.
Oui, libre dans ta façon d'écrire,
parce que ce n'est pas commun, ta façon d'écrire.
C'est parce que je n'avais pas étudié en littérature.
Puis tu as écrit.
Si j'avais étudié, j'aurais suivi les règles.
Tu aurais formaté.
Oui.
J'aurais compris que la structure,
il faut que tu fasses un chapitre,
puis l'autre chapitre.
Non, toi, c'est déstabilisant quand on commence à te lire.
Parce que si c'est ça qu'on recherche,
et on se laisse aller,
puis à un moment donné,
on dit, OK, mais où est-ce qu'on est rendu?
Comment on a pu arriver là?
C'est ce qui est fascinant
de dérouter aussi le lecteur
et la lectrice.
C'est pour ça que je te parle de dérouter aussi le lecteur et la lectrice.
C'est pour ça que je te parle de liberté,
la liberté de l'ignorance.
Parfois, en anglais,
il dit « ignorance is bliss ». T'es bénie par l'ignorance, quelque part.
Oui.
Je ne savais pas que j'écrivais un livre.
Et donc, t'as la liberté de juste
jouer avec les mots
à partir d'une histoire que tu connais
par cœur. T'as pas besoin
de trop de recherches
ou quoi que ce soit, donc tu te laisses aller.
Et cette liberté-là
est libératrice
ou libératoire.
Je ne sais pas quel est le bon mot pour...
– Oui, c'est vrai, peut-être libératrice,
je dirais, mais là, peut-être que les deux sont bons,
mais j'ai aussi l'impression
qu'il y a beaucoup de sensualité dans ton écriture.
Ah! Je ne sais pas si je pensais à la sensualité
plus que le sens oriel.
Tu vois, tout est sens oriel pour moi
parce que je n'ai pas l'intellect.
Je n'ai pas la réflexion d'un intellectuel.
Oui, sens oriel, c'est vrai.
Je suis sens oriel. Je parle des sens et non nécessairement, sensorielle. Je suis sensorielle. Je parle
des sens et non nécessairement,
je pense que ça devient sensuel.
Oui, c'est organique.
Parce que je vois
la beauté du geste
d'une prof,
si tu veux.
Ma première prof. La façon
que ses fesses bougeaient.
C'était extrêmement
rond. Dans maaient, c'était extrêmement, comment dire,
rond.
Dans ma tête, c'était pas sexuel
du tout. Pour moi,
c'était des fesses
tellement voluptueuses,
que ça dégageait
la richesse.
Alors qu'on n'avait
pas de fesses. On était tellement maigres.
J'avais jamais vu des fesses comme ça.
Puis là, elles bougent comme ça.
Encore aujourd'hui,
je rêve de pouvoir bouger
les fesses
de cette manière-là.
Parce que tu vois
le mouvement.
Je ne sais pas.
Pour moi, c'était plus sensoriel. C'est ça, tu vois, je ne sais pas. Donc, pour moi, c'était plus ensoleillé.
C'est ça, tu es capable de
nommer, de trouver les beaux
mots pour nous le faire
voir, sentir exactement.
Est-ce que tu es prête à ouvrir ton jeu?
Bien oui! Alors, voici
comment ça va fonctionner, Kim.
Les questions vertes,
tu ne vas pas répondre à toutes ces questions-là, tu vas faire des choix.
Non, je veux!
Les questions vertes, c'est des questions d'ordre général.
Les questions jaunes, tu vois, on commence à les personnaliser.
Les questions rouges, mes cartes veulent rester ensemble.
Les cartes rouges, c'est des cartes très personnelles.
Les cartes mauves, c'est des cartes hypothétiques.
Si, il arriv arrivait ton joker
si jamais dans mes sous-questions
t'es tanné de répondre à une question
ou des fois on peut avoir un invité
qui a un malaise mais le joker
j'arrête on passe à autre chose
ça va être long avant qu'on arrive au joker avec moi
je vais te demander de brasser les cartes vertes
ah général
tu vas m'en donner
je vais pas le général
je veux aller dans le
super personnel.
Tu m'en donnes cinq.
Mais tu vois, des fois, ça vient très personnel.
Je connais pas les réponses.
De toute façon, je suis pas capable de répondre
sans être personnel. Je vais te les lire.
Tu vas en choisir une et après,
moi, je vais en choisir une. D'accord.
Comment évoluer ta relation avec l'argent
au fil du temps? Qu'est-ce qui te rend vulnérable? Quand je me regarde dans le miroir, je vais en choisir une. D'accord. Comment a évolué ta relation avec l'argent au fil du temps?
Qu'est-ce qui te rend vulnérable?
Quand je me regarde dans le miroir, je vois.
Comment réagis-tu à l'autorité?
Quelle personne a fait une différence dans ta vie?
Je vais commencer avec comment a évolué... Comment a évolué ta relation avec l'argent au fil du temps?
Quand on est arrivés, on avait zéro sou.
Mais mes parents ont réussi à ne jamais nous faire sentir pauvres.
Et je parle ici, on était très conscients qu'on n'avait pas d'argent.
Vous étiez pauvres?
On était plus que pauvres.
Ils n'osaient pas le dire, mais vous l'étiez.
Non, on le savait.
Mes parents n'avaient jamais caché l'argent,
le revenu qu'on gagnait.
Ma mère et moi, on travaillait ensemble en couture et on faisait deux piastres par jour.
Donc, je savais très bien combien d'argent
qu'on faisait en tant que famille ensemble.
Mais on ne s'est jamais sentis indignes
à cause du manque d'argent qu'on avait.
Ils ont réussi à nous faire ressentir ça. Je ne sais pas comment, je ne peux pas te le dire, mais pour eux, il n'y avait aucune décision qui avait
été prise basée sur l'argent. Donc, on regardait l'option qui était devant nous ou les options,
puis on écartait l'argent. Et puis après ça, est-ce qu'on peut le faire ou non
avec le budget qu'on avait?
Mais d'abord et avant tout, il faut évaluer la chose
dans son essence en soi.
Et je te dirais, aujourd'hui, j'ai la même relation
avec mes projets.
Quand on me propose un projet,
je ne veux pas que mon agente me dise
quel est le montant d'argent qui est rattaché à un projet, je ne veux pas que mon agente me dise quel est le montant d'argent
qui est rattaché à un projet. Jamais.
Je veux prendre
connaissance,
si tu veux, du projet sans
cet élément dans l'équation.
Et après, on peut en parler.
Mais je veux choisir sans.
Je ne veux pas
jamais donner
le pouvoir à l'argent.
L'argent ne pourra jamais m'avoir.
Pourquoi? Parce que je sais comment vivre pauvrement.
Financièrement, on parle de financièrement.
Parce que je me sens extrêmement riche à l'intérieur.
Je n'ai pas besoin.
Je peux vivre dans un 3,5.
Je vais être aussi heureuse que dans une maison.
Je ne laisse jamais l'argent avoir un contrôle sur moi.
Donc ça, c'est ma relation avec l'argent.
Et qu'est-ce que ça a changé du moment où, quand tu passes à cette grande pauvreté financière,
à devenir...
Cette aise financière. Oui, c'est ça, à devenir à l'reté financière, à devenir... Cette aise financière.
Oui, c'est ça, devenir à l'aise financièrement
sans que ce soit nécessairement une préoccupation importante.
Qu'est-ce que ça change, ça?
La liberté.
La liberté.
Autant avant, oui, c'était très difficile
de gagner un dollar pour nous,
parce qu'on venait d'arriver, on n'avait pas d'expérience,
on ne savait pas où trouver
les emplois. On est arrivé
en pleine crise économique ici au Québec.
C'était extrêmement
difficile pour des immigrants
qui venaient d'arriver. Aujourd'hui,
je dis,
ça ne me dérange pas d'aller laver
la vaisselle demain.
Et je sais
où aller chercher ces jobs-là.
Et donc, ça ne me dérange pas.
Tu n'as pas de préoccupation.
Ce n'est pas ta sécurité.
Il y en a qui vont chercher ça, justement,
dans l'argent. Jamais. Toi, ce n'est pas là.
Moi, c'est ma santé, mes deux mains
et mes deux pieds. Tant que je les ai,
je me sens libre
de refaire de zéro.
Ça ne me dérange pas de recommencer
de zéro. Je sais comment le faire.
Et je n'ai pas besoin de beaucoup pour être
heureuse. Mon seuil
de confort,
il y en a que c'est là,
tant d'argent. J'ai un ami qui a dit,
tant que je n'ai pas mon 10 millions,
je ne peux pas me sentir
libre. Il faut que je continue à travailler jusqu'à mon
10 millions, 5 millions, peu importe.
Chacun donne un seuil de confort.
Moi, c'est zéro.
J'ai pas beaucoup de seuil.
Si je suis capable de nourrir
mes enfants, même pas mes enfants,
mon plus vieux, il est
avocat, il fonctionne tout seul.
Mon deuxième
est autiste, Alors, oui,
j'ai une responsabilité
envers lui, mais même là,
notre société fait en sorte qu'il y a
un filet social. Donc, même si
je mourrais demain, il va être correct
financièrement,
je dirais, puis j'ai déjà tout préparé
pour lui. Il y en a assez jusqu'à la fin
de sa vie. Tout va bien.
Oui, pour lui, c'est déjà réglé.
Moi, je suis bien avec
n'importe quoi, juste assez pour manger.
Puis manger, là, écoute,
un pain, une baguette
chaude, ça me suffit.
Je suis tellement contente de pouvoir manger
juste une baguette chaude.
Je ne te dis pas que je n'apprécie pas
un grand restaurant ou un grand repas,
mais mon bonheur ne dépend pas du tout.
Est-ce que c'est cette période-là
dont tu décris depuis le début qui t'a forgée,
qui a fait que tu es capable encore aujourd'hui
d'avoir aussi peu besoin de choses pour être bien?
C'est grâce à ça.
Et oui, il y a un moment d'insécurité financière.
Ça reste avec toi pendant très longtemps,
donc tu travailles, tu ramasses les sous
et tout ça, mais
jamais. Mes parents ont réussi
à...
je ne sais pas,
à m'éduquer de telle façon
que je ne dépends jamais de l'argent.
Et je suis
tellement contente, parce qu'aujourd'hui, j'ai encore plus de possibilités
de me refaire.
En tant qu'immigrante à 10, 12 ans ou à 15 ans,
c'était difficile.
À 55 ans, je sais comment on va trouver une job aujourd'hui.
J'ai plein de réseaux.
On venait d'arriver, on n'avait pas de réseau.
Pas d'amis, pas de collègues, pas d'anciens camarades.
Aujourd'hui, je sais que je peux
appeler plein de gens. Je t'appellerai.
Tu vois ce que je dis?
Non, mais tu vois ce que je dis?
Non, mais je comprends. C'est que tu as beaucoup de ressources.
Mais oui. Donc, pourquoi avoir peur?
C'est ça. Il y a des gens qui auront peur.
Tu es encore plus libre.
Je suis encore plus libre aujourd'hui à 55 ans
et j'ai encore moins besoin de choses à 55 ans
qu'à 35. Je suis de plus en plus libre aujourd'hui à 55 ans et j'ai encore moins besoin de choses à 55 ans qu'à 35.
Je suis de plus en plus libre
du jeu de l'argent
sur moi. Jamais on m'aura.
As-tu voulu redonner à tes parents
aussi quand toi tu as commencé à faire des sous?
Tout de suite.
Dès que je commençais à avoir
un peu de...
À 14 ans,
je me souviens,
j'avais un compte de banque
très tôt. Mes parents nous ont
ouvert tous un compte de banque
quand on allait
cueillir des fraises, des haricots
et tout ça. Notre premier
5 piastres, on a ouvert un compte
à la Caisse des jardins.
Il faut mettre 5 $ pour être membre.
C'était long de trouver, de trouver 5 $.
Dès qu'on a eu notre premier 5 $,
mes frères et moi, on a mis dans ce compte-là pour ouvrir notre premier
compte de banque, des trois enfants
ensemble. – C'était très significatif, j'imagine.
– Bien oui. Puis la banque se trouvait juste en-dessous
de notre appartement.
Et dès que j'ai un peu plus...
En tout cas, je travaillais et tout ça.
Je disais à mes frères, je disais,
là, on ne recevait pas d'argent de poche.
On n'avait pas besoin.
Sauf que je disais à mes frères,
quand vous avez besoin d'argent, vous allez dans ce compte-là.
Ne prenez jamais l'argent des parents.
Et ça, j'avais 14-15 ans.
Et à partir de là, j'essayais le plus possible.
Et mes frères,
à un moment donné,
ils ont payé l'hypothèque
de mes parents sans m'en parler.
Ils ont dit,
pourquoi vous ne m'avez pas demandé de participer
aussi? Ils m'ont dit,
tu t'es occupé de nous.
C'est notre tour, il n'y a pas de problème.
Donc, ils n'ont pas besoin
de le demander, on s'en occupe.
Vous êtes un clan.
On est un clan, ensemble.
Autant mes parents,
vraiment, s'occupent de moi sans jamais
rien me demander. Comme là,
on habite un semi-détaché, côte à côte.
Les dépenses
qu'ils font pour
le jardin, la galerie,
le toit ou quoi que ce soit,
ils ne me le demandent pas. Et moi, de l'autre
côté, non, il n'y a pas de loyer,
il n'y a rien. Ils habitent
avec nous, c'est tout
dans le semi-détaché, mais
je pense qu'ils dépensent plus que le loyer.
Tu sais, s'ils avaient payé un loyer,
ce n'est pas parce qu'ils n'ont pas
de maison. Ils ont une maison.
On les a sortis de leur maison pour habiter avec nous.
Donc, ils sont obligés de louer leur maison.
Tu vois?
Mais c'est de fonctionner en clan de cette manière-là
parce que pour mes parents,
c'était aussi une façon pour eux
de nous soutenir dans notre investissement dans ce deuxième semis détaché
collé au premier.
Et tes frères?
Mes frères, oh mon Dieu, c'est comme juste là, ce week-end.
Je disais, je ne sais pas où est-ce que j'ai mis
les souliers de Valmont, mon fils autiste.
Puis il venait juste de les donner.
C'était des nouvelles chaussures, puis ils disaient
je sais plus, dans les transferts
d'autobus et tout ça
ils disaient on s'en occupe
donc la semaine prochaine, ils disaient
attends un peu, la semaine prochaine on t'en apporte
puis là ils ont vu les sandales que j'ai achetées
pour Valmont, puis ils sont comme
c'est donc bien laid, voyons donc, c'est quoi ça
donc ils ont décidé qu'ils achètent une autre paire pour Valmont et jamais ils sont encore assis. Voyons donc, c'est quoi ça? Ils ont décidé qu'ils achètent
une autre paire pour Valmont.
Jamais ils vont me dire, ah, bien, tu me dois X.
Jamais.
Parce que...
– Vous payez dans le clan.
Vous êtes comme égaux dans ce clan-là.
– Oui, oui.
– Vous vous assurez, en tout cas, vous vous assurez pour les autres.
– Oui, comme à un moment donné,
on a investi dans un terrain. Ma mère a trouvé un terrain. Elle dit, vous assurez pour les autres. Oui, comme à un moment donné, on a investi dans un terrain.
Ma mère a trouvé un terrain.
Elle dit, vous devriez mettre de l'argent là-dedans.
Et mes frères m'ont appelée, puis j'ai dit, j'ai zéro argent.
C'était dans le temps que j'avais mon restaurant.
Donc, j'injectais de l'argent dans le resto.
J'étais dans le rouge tout le temps.
Et là, j'ai dit à mes frères, j'ai pas d'argent pour participer.
Il m'a dit, on va te prêter
ta part. Donc, c'est les trois
ensemble. Je sais pas
quand est-ce que je vais pouvoir
payer ma part, tu vois, le resto
piquait du nez.
Et il m'a dit, ben, tu payeras
qu'on aura vendu, qu'on va
vendre le terrain.
Comme ça, là, je dis, hein? Avec le profitre le terrain. Comme ça, je disais, hein?
Avec le profit qui va te revenir,
tu vas prendre la part, tu vas les rembourser.
Bien là, j'ai dit, je n'ai pas besoin.
Vous n'avez pas besoin de moi.
Ils disent, bien non, c'est sûr qu'on n'a pas besoin de toi.
Mais si on monte, on monte tout le monde ensemble.
Donc, tu vas avoir l'argent du profit, c'est tout.
Donc, on avance le capital, puis tu vas
recevoir ta part de profit.
Donc, tout ce qu'ils avaient besoin de moi,
c'est de dire oui.
Mais c'est tout. Mais tu vois, donc, c'est
vraiment, quand je te parle d'argent,
pour moi, il n'y a pas de notion
d'argent
entre nous.
On ne calcule pas
de cette manière-là du tout.
Et en même temps, si ça va mal pour un,
les autres arrivent.
Exactement.
Et ça, ça apaise.
Oui, mon frère est dentiste.
Sa clinique était à côté du resto.
Le midi, il venait manger.
Quand il y avait trop de clients,
il lavait la vaisselle.
À la fin, il n'y avait plus de bouffe.
Donc, il devait aller au hamburger à côté.
Pour être pour ça,
chercher un lunch.
Il lavait la vaisselle
pendant que
je servais le lunch.
Ça fait partie de...
Il y a cette entraide-là.
Et sa clinique,
quand il a voulu ouvrir sa clinique, ça coûte cher d'ouvrir une clinique, quand il a voulu ouvrir sa clinique,
ça coûte cher d'ouvrir une clinique.
Tout le monde, on a mis de l'argent là-dedans
pour qu'il ouvre sa clinique.
Il disait, quand il voulait acheter un condo,
tout le monde, on mettait de l'argent
pour son condo.
Peut-être qu'on ne fait pas rouler l'économie
parce qu'on ne passe pas par la banque.
Pas trop. Vous faites rouler l'économie parce qu'on ne passe pas par la banque. Pas trop.
Vous faites rouler vos affaires.
Parce qu'en même temps, ça veut dire
qu'il n'y a pas de dette.
On essaie le plus possible.
Essayer le plus possible de...
J'auto-financer.
Moi, j'aime quand on parle de tout ce qui est clan
parce que l'argent est tellement
un tabou, Kim, encore aujourd'hui, quand on parle,
je pense que l'argent est encore plus
un tabou que le sexe. Il y a un malaise
si tu dis que tu as un peu d'argent,
tout de suite les gens vont dire, toi, tu es bien chanceuse.
Mais quand tu n'en fais pas, il n'y a plus personne qui vient,
personne qui ne dit rien.
Quand tu es dans le rouge, justement,
il n'y a plus personne autour de toi.
Il n'y a plus personne autour, c'est pour ça que
on dirait qu'on les met sur la voie d'évitement.
Mais c'est rare qu'on parle d'argent.
Et la façon que tu en parles, je trouve que ça allège.
Parce que ce n'est pas vrai que toutes les familles, on monte ensemble.
J'aime cette expression-là de dire on monte ensemble, on se construit ensemble, on s'entraide.
Et bon, oui, l'argent, c'est quelque chose qu'on a de besoin,
mais on n'y accorde pas tant de valeur que ça.
– Puis je te dirais, c'est que
quand on monte ensemble comme ça,
veux, veux pas, si c'est ta soeur ou ton frère
qui est dans la misère,
tu t'inquiètes, n'est-ce pas?
Tu t'inquiètes pour eux aussi.
Veux, veux pas, on s'inquiète pour nos proches.
Alors pourquoi tu veux
vivre cette inquiétude-là, alors que
tu peux tendre la main pour que tout le monde soit bien
et toi-même aussi?
C'est pour ça que mon chum, en tout cas,
il y a une des soeurs
qui n'avait pas une propriété.
Elle vit dans un appartement.
Elle a mon âge.
Tout de suite, comme ça, je venais de le rencontrer.
Ça ne faisait même pas un an.
J'ai dit, hey Hey, t'as les moyens
d'acheter
un quadriplex,
genre, pourquoi tu le ferais
pas avec ta soeur,
d'investir avec elle?
Peut-être qu'elle n'a pas l'argent pour la mise de fonds,
toi tu fais tout, mais
ça va se repayer avec les loyers,
avec les années.
Elle va avoir sa part comme ton terrain.
Ben oui, pis j'ai dit, dans 5 ans, dans 10 ans,
elle va avoir sa retraite assurée.
Tu as pu être inquiétée si elle va bien aller ou elle ne va pas bien aller.
Est-ce qu'elle a fait assez d'argent
pour avoir une pension confortable ou pas?
Elle va avoir à elle un investissement.
Et ça ne te coûte rien
parce que ça va te revenir de toute façon.
N'est-ce pas? Mais au lieu que
tu achètes des actions, achète ça
parce que tu aides un humain pour vrai
et cet humain, c'est ta soeur.
Donc, tu n'as pas à t'inquiéter par la suite.
Puis depuis, ça marche super bien.
C'est une bonne
conseillère financière.
Oui, ben tu sais, de...
Ben de faire profiter les autres
puis d'arrêter de regarder ça croître
sur ton ordi.
Ben oui. Mais tu imagines
le sentiment. Ben oui.
Tu t'enlèves du poids.
Tu t'en rends même pas compte.
Est-ce que tu penses te présenter en politique?
Oh mon Dieu, je sais pas comment suivre la ligne.
C'est ça, parce que là, tu perdrais de la liberté.
Mais tu sais, c'est...
Parce que ce que tu dis, je trouve qu'il y a quelque chose
au niveau économique d'intéressant à proposer.
Tu sais, déjà...
Ben oui.
Moi, j'en parle souvent, mais je suis encore outrée
que dans plusieurs villes et villages au Québec,
on n'ait pas le droit d'avoir des maisons bigénérationnelles
parce qu'on perd des taxes ou des choses comme ça.
Tu comprends?
Ce n'est pas partout, il y a des endroits où c'est possible,
mais pour moi, ça ne devrait même pas être un questionnement.
Ce n'est pas un questionnement.
Parce que sur le plan économique, sur le plan familial,
je veux dire, tu enrichis ton monde en faisant ça,
en répartissant justement
les dépenses
avec plus de gens pour y contribuer,
on enrichit
une société. Pour l'environnement.
Oui, l'environnement, la famille,
tu sais, pour aussi, tu sais,
des fois, on s'isole quand on devient une personne
plus âgée, et là, tu restes
utile, tu restes...
Tu restes... Oui! Tu tu sais j'ai proposé ça fait juste
deux ans et demi mon chum et moi environ et je sais même pas c'est quoi la date mais en tout
cas c'est quand même neuf disons mais dès qu'on a décidé ok on va vivre ensemble j'ai dit il faut
que tu sortes tes parents de la résidence.
Ils viennent habiter avec nous.
Et donc, ils ont aujourd'hui 87 et 90.
Ils habitent avec vous?
Bien oui.
Ça se passe bien?
Bien, plus que bien, dans le sens où, tu sais,
quand sa maman est tombée,
bien, on est à un étage d'elle.
On l'entend tomber, OK? Donc, on descend tout de suite. Puis, on la rel un étage d'elle. On l'entend tomber.
Donc, on descend tout de suite.
On la relève. C'est tout.
Alors que si elle est à la résidence,
c'est l'urgence. Parce que les infirmières
n'ont pas le droit
de la relever. Non, elle s'en va
à l'urgence. Puis qu'est-ce qui arrive?
Toi, mon chum, tu dois aller
jusqu'à l'urgence. Alors que là,
t'as juste à descendre un escalier, puis t'es arrivé.
Donc, tout le monde habite là.
Il y a tes parents, d'un côté
et de l'autre côté du mur mi-voyant.
Raconte-moi, décide-moi ta maison.
Ma maison est folle.
Mais là, alors...
La maison qu'on appelle
la maison de Valmont, OK?
Dans la maison de Valmont,
son papa et moi, on se relaie. Là. Donc, on la maison de Valmont. Dans la maison de Valmont, son papa et moi,
on se relaie là.
On ne bouge pas Valmont.
Il soit confortable dans sa maison
depuis 20 ans maintenant qu'il est là.
Et donc, son papa, sa blonde,
est à Laval.
Et donc, des fois, sa blonde vient,
habite la maison avec
son papa.
Et moi, je suis avec mon chum.
OK? Mais on a
trouvé une maison à deux minutes de
marche. Donc, quand je me réveille
à 7h, à 7h02, je suis rendu
chez nous. Donc, c'est comme juste
traverser la rue.
Et là, tu vas vivre là la semaine?
Alors, comment ça marche? Mes parents sont
à côté de la maison de Valmont.
Les deux semi-détachés, n'est-ce pas?
Et donc, le soir, je couche Valmont vers 10h30, 10h45, le soir.
Puis je pars.
En deux minutes, je suis rendue à l'autre maison.
Et le matin, je reviens à 7h, 7h02, quand son papa est là.
Quand son papa n'est pas là, je dors avec Valmont,
à la maison de Valmont, avec mon chum.
Donc, c'est vraiment
une maison avec deux
pères de parents
qui se relaient.
Mais mon chum et
le père de mes
enfants, je ne sais même pas, parce que
ex, ça veut dire qu'il est en dehors de ma vie,
mais il n'est pas en dehors de ma vie. Au contraire,
on est les plus grands amis
et les deux, ils se prennent
des scotchs sans moi.
Ils s'entendent super bien.
L'autre fois, on a des problèmes
de fourmi.
Le papa de Valma n'était pas
à la maison. C'est mon chum qui a
appelé l'exterminateur pour la maison.
Donc, ils se parlaient, les deux gars,
ensemble, à dire
« Hey, ouais, j'ai appelé l'experimentateur. »
Puis là, il dit
« Ah, tu penses que c'est grave? »
Je dis « Oui, oui, on prend
l'experimentateur. » Tu vois,
ils s'occupent de la maison comme si c'était
une maison familiale,
tout le monde ensemble.
Le dimanche, presque tous les dimanches,
on mange chez mes parents.
On réussit à avoir mon frère, son chum,
mon fils, sa blonde, mon chum,
le père de Valmont, Valmont,
tout le monde autour de la table.
Pour la fête du papa des enfants,
il était là avec sa blonde
et la fille de sa blonde,
avec mon chien. Tout le monde est autour
de la table de mes parents.
Et ça se passe bien?
En plus que bien, mon Dieu, comme mes parents disent,
ça parle bien trop.
Ils ne sont pas capables d'arbitrer
un sujet, parce que
tout le monde se parle
moins.
C'est ça.
Il y a une harmonie. Je sais Puis c'est ça. Il y a pas de...
Il y a une harmonie.
Je sais que c'est comme un miracle.
J'en reviens pas.
Est-ce que ça part de toi?
Non. Pas que.
C'est sûr qu'il faut une intention de départ.
Mais après ça, je te dirais,
l'intention de tout le monde,
c'est comment faire pour que ça marche.
Tu vois?
Comment faire pour continuer à s'aimer. Et tout le monde travaille c'est comment faire pour que ça marche. Comment faire pour continuer à s'aimer.
Et tout le monde travaille
dans ce sens-là.
Donc, le père de mes enfants,
peut-être qu'il y a des choses
de moi qui les énervent encore,
mais aujourd'hui,
c'est accessoire.
C'est plus important.
Est-ce que Valmont est le ciment de tout ça?
Valmont est le ciment, est ça? Valmont est le ciment,
est l'axe principal,
est la raison d'être de cette harmonie-là.
Parce que tout le monde,
on doit devenir plus grand que soi
pour être autour de lui.
Et tout le désir est d'être autour de lui.
Si Valmont n'existait pas,
mes parents ne seraient pas venus avec nous.
Ils étaient très confortables dans la maison où ils étaient, mais ils voulaient être à côté de Valmont n'existait pas, mes parents ne seraient pas venus avec nous. Ils étaient très confortables dans la maison où ils étaient.
Mais ils voulaient être à côté de Valmont pour m'épauler,
mais aussi pour être avec Valmont.
Pour l'aimer dans le quotidien, de façon physique.
Parce que Valmont est non-verbal.
Donc, il faut être là, physiquement.
Et après ça, mes frères, si Valmont n'était pas là,
mes parents seraient allés, je ne sais pas, chez mes frères, si Valmont n'était pas là, mes parents seraient allés, je sais pas,
chez mes frères ou
chez moi, tu sais, ailleurs.
On se verrait un peu partout.
On n'aurait pas cette discipline
parce que Valmont
nous impose l'immobilité
d'une certaine manière.
On doit tous revenir
à cette adresse-là. Et
le frère de Valmont, Justin,
s'il n'y avait pas Valmont,
je pense que je ne le verrais pas tous les week-ends.
Il vient voir son frère.
Il vient voir son frère.
Puis il vient un peu plus tôt pour l'emmener manger une crème lassée.
Il passe sa blonde, la blonde de mon fils.
Elle m'appelle et elle dit,
« Ah, Kim, je vais être en rédaction pendant deux semaines pour sa thèse. »
Et tout ça, elle dit « Si tu as besoin
de moi, tu m'appelles.
Je viens garder Valmont
et je viens dormir avec Valmont.
Comme ça, vous pouvez sortir. »
Elle est venue. C'est ça.
Il y a cet amour-là qui tourne autour.
Et je pense que sans Valmont, je n'aurais
pas eu cette relation
particulière avec ma belle-fille.
Tu vois?
Et donc, tout le monde, on devient plus grand que soi.
Il nous impose cette humilité-là
de laisser l'égo à l'extérieur de la porte.
Quand on rentre dans cette adresse-là,
il n'y a plus d'égo, il n'y a plus personne
qui est là avec son égo.
C'est fini, on est tout nu.
Bien, on est tout nu.. Bien, on est tout nus. Bien, oui.
Tout ça,
oui, je trouve que
c'est une grande histoire, une grande histoire
d'amour. Donc, tu as raison,
tu m'as demandé si c'était moi, je te dirais
non, c'est Valmont, en fait.
Et on lui doit
beaucoup pour cette
humilité-là
qu'on n'aurait pas eue sans lui.
Quand je me regarde
dans le miroir, je vois.
Ah mon Dieu, c'est tellement rare que je
me regarde. Je te dirais, je ne me reconnaîtrais
pas sans brosse à dents.
C'est ça le moment où...
Tu ne te regardes pas dans le miroir? Non.
D'ailleurs, je ne sais pas de quoi j'ai l'air. J'ai complètement
oublié. Je suis partie bien vite
ce matin.
Non.
Mon miroir, tu sais, quand tu achètes du maquillage,
on te donne des petits bidules gratuits.
Oui, oui, oui, que tu ouvres en deux.
Oui, oui.
Ma mère, elle en achète et elle en a.
Puis elle me donne un parce qu'il faut que tu aies un peu de maquillage.
Puis je n'ai rien.
Donc, elle me donne ce petit bidule-là. Puis je te dirais, de temps en temps, des fois, puis j'ai rien. Donc, cette petite bidule-là, puis je te dirais
de temps en temps, des fois,
je l'ouvre, puis je vois rien parce que
toute la poudre va sur
le miroir.
Je sais pas.
Peut-être que j'ai pas le temps
de me regarder dans
le miroir. Je préfère me regarder
dans le regard des autres.
Est-ce que le regard des autres change sur toi?
Je m'y vois.
Et je me réajuste
selon le regard qui est devant moi.
Et j'essaie le plus possible
que la personne devant moi
voit que
j'essaie de leur transmettre
de l'affection. En tout temps. Pour redonner ce que j'essaie de leur transmettre de l'affection
en tout temps
pour redonner ce que j'ai reçu
quand je suis arrivée ici au Québec.
Et j'ai pas assez d'une vie pour redonner ça.
Comme aujourd'hui,
juste celui qui fait du café, le barista,
j'attendais son regard.
Je veux lui dire que son café est extraordinaire.
Puis il était très occupé,
il avait pas envie
de me regarder, mais j'attendais.
Tu vois, de façon consciente,
je l'attendais pour lui dire
« Il est magnifique, votre café. »
Je voulais juste lui dire ça.
Puis j'ai besoin
de voir qui m'a vu
faire ça.
Ça, c'est la
personne que je veux être.
Que j'ai pris le temps et que j'insiste.
Oui, je sais
que t'es stressée avec tous les cafés
à faire, mais prends
juste deux secondes
pour recevoir un compliment
pour le travail que tu fais. Je veux
rendre visible
l'effort qu'il fait.
Tu vois, de reconnaître tout ça.
Donc, par exemple,
je sais qu'on voit jamais la femme de chambre
d'hôtel.
Puis je parle d'hôtel parce que je dors beaucoup dans les hôtels.
Je voyage énormément
pour le travail. Et comment tu fais
pour rendre visible son geste
que tu vois jamais?
Tu la vois jamais, la femme de chambre.
Puis je dis femme, parce que la plupart,
ce sont des femmes.
Comment tu fais?
Et j'ai pensé à toutes sortes de manières.
Je replace-tu les oreillers
pour que ça soit...
Est-ce que je ramasse toutes les serviettes dans un tas?
Est-ce que je ramasse tous les verres?
Je fais ça, mais après ça,
je me dis, ah, je laisse l'argent.
Mais je dis, oui, mais quand même,
il manque quelque chose.
Et donc, je prends toujours le temps d'écrire un mot.
Merci et bonne journée.
Je vous vois.
Puis là, je laisse l'argent.
Et là, je me vois à travers son oeil à elle
quand elle va le lire.
Et ça, je veux voir ça. Je me me vois à travers son oeil à elle quand elle va le lire. Et ça, je veux voir ça.
Je me vois seulement à travers
le regard des autres en ce sens-là.
Tu vois?
Et je me juge à partir de là.
De prendre ce temps-là.
Si tu ne le fais pas...
Oui, je me sens mal longtemps.
Est-ce que c'est Edmond aussi
qui t'a apporté cet aspect-là,
dans le sens que comme Edmond est non-verbal,
les yeux
sont ta principale source
de communication. Le regard.
Le geste.
Je te parlais du regard
physique, oui, mais
la plupart du temps, t'as pas le regard
physique. Valmont, t'as pas
ce regard-là. Pas nécessairement.
Mais t'as le geste. J'ai le geste.
Et comment on fait le geste?
Puis ça, je reviens à mes 20 ans
quand j'étais serveuse dans un
restaurant japonais. C'était le
premier restaurant japonais avec
des salles fermées, tatamis
où tu t'assoies sur un coussin.
Et
la propriétaire qui était japonaise
me disait, les gens rentrent
en enlevant leurs pantoufles, n'est-ce pas?
Ils rentrent dans la salle. Après ça,
ils restent dans la salle. Donc, toi,
comme serveuse, tu dois tourner
les pantoufles dans l'autre sens
pour que quand ils ressortent,
les pantoufles sont déjà dans le bon sens.
Parce que quand ils rentrent, les pantoufles sont vers
la salle. Mais quand ils sortent, il faut que
les pantoufles soient dans l'autre sens.
Tu vois, c'est un geste tout petit
que le client ne s'en aperçoit même pas.
Mais il sait juste que c'est confortable ici,
c'est extraordinaire, puis tu ne sais pas pourquoi.
Et donc, ce geste-là, invisible, si tu veux,
qu'on doit faire, est pour moi un pouvoir incroyable.
Le pouvoir du geste invisible
pour donner à l'autre
un sentiment de bien-être
ou un sentiment de...
Tu vois?
De confort.
Et j'aime tellement ces gestes,
d'être l'auteur de ces gestes invisibles
que tu ne le sens même pas.
Tu sais juste que c'est parfait.
Tu sais,
comme le père de Valmont,
il voyageait beaucoup à l'époque. Il travaillait... En tout casmont il voyageait beaucoup à l'époque
il voyageait beaucoup
et ce que je faisais
peu importe qu'il parte juste une journée
ou deux jours, les draps étaient toujours changés
le moment où il revient, tout neuf
pourquoi? parce qu'il arrive de l'hôtel
où les draps sont propres tout le temps.
Donc, comment tu fais pour prolonger ce sentiment de luxe,
tu vois, d'être dans des draps neufs,
dans des draps fraîchement lavis?
Et donc, tu as envie de revenir à la maison
et tu ne sais même pas pourquoi tu as envie de revenir à la maison.
Ou sinon, quand tu reviens à la maison,
tu as le même confort qu'à l'hôtel.
Je me souviens, j'avais fait simplement vedette avec toi
il y a plusieurs années chez toi.
Et tu m'avais dit que repasser les chemises
du père de tes enfants à l'époque,
c'était un geste d'amour.
Tu étais la première personne à me répondre ça.
Mais là, tu dis ça, j'ai l'impression que c'est ça aussi.
Oui, mais surtout de le repasser la nuit
pour qu'il n'aperçoive pas
que t'as mis de l'effort.
Parce que si on voit ton effort,
on ne porte que le poids de ton effort.
Tu vois? Je voulais pas
qu'il sente le poids de l'effort.
Je voulais qu'il ressente seulement
le bien-être d'une chemise déjà repassée,
toujours prête, t'en as toujours dans l'armoire.
C'est tout.
Tu te poses même pas la question
pourquoi t'as toujours des chemises propres prêtes.
Tu vois, c'est ça.
C'est comme un hôtel.
Tu sais pas pourquoi quelqu'un a pensé à tout.
Tes Q-tips sont là.
Est-ce qu'on fait ça pour toi aussi?
J'ai un amoureux qui pense à ce genre de détails.
Tout le temps.
Mais je dois dire, le père de mes enfants aussi.
J'ai oublié de changer les tapis dans l'auto.
C'est ça, il le fait.
C'est lui qui prend le rendez-vous pour changer les pneus.
Pour moi, c'est ça.
J'ai la tête folle un peu pour ces affaires-là.
Donc, c'est déjà tout fait.
Est-ce que quand on fait ces gestes silencieux,
on attire les gestes silencieux des autres?
Je pense que oui.
Je pense que oui.
J'aime croire que la gentillesse emmène la gentillesse.
On peut croire que ce c'est pas vrai,
mais quand on le fait, il faut pas attendre un retour.
Et ça, j'ai appris des Québécois qui m'ont reçu.
Ils m'ont reçu pas pour que je dise merci,
pour que je leur donne un cadeau,
que je sois en gratitude.
Quand on est arrivé,
puis qu'ils nous ont pris tout de suite
à la première seconde dans les bras,
c'était pour rien.
C'est pour rien en retour.
C'est un amour
pur. Et c'est très rare
dans la vie d'avoir cet amour
pur, n'est-ce pas? Et je l'ai
vécu. Et donc, j'apprends
à partir de ce moment-là
comment faire pour aimer
avec la plus grande pureté
possible. Ne pas
avoir d'attente.
Tu aimes parce que tu aimes.
C'est tout.
Il n'y a rien de retour.
Quand tu laisses un mot à la femme de chambre,
il n'y a rien en retour.
Sauf la petite, petite pensée, hein?
Que peut-être que ça lui donnait un petit,
tu sais, une petite caresse sur l'épaule.
Je sais que ton travail est difficile.
Tu sais, je t'en parle, puis je suis très
émue de ça, parce que
quand est-ce qu'on les remercie?
Jamais. On donne
du pourboire au portier, à celui
qui t'apporte l'auto parce que t'es face à face.
Mais plus l'hôtel est luxueux,
moins on voit les femmes
de chambre. Les chariots
ne sont pas dans le couloir, jamais.
On ne permet pas à la femme
de chambre d'avoir des chariots dans le
couloir. Alors qu'elle pense au
bien-être de l'autre tout le temps. Oui, pas
un pli sur ton drap. Pas
un pli. Pas
un cheveu qui traîne.
C'est tough, là,
de faire ce genre de travail aussi
impeccable. Comment faire
pour faire sentir au client
qu'il est le premier à être dans cette
chambre-là, qu'il n'y a jamais eu personne
avant? C'est
extraordinaire.
Tu sais, mais quand est-ce?
Et tu vois, et ça,
et en plus, c'est
beaucoup le travail des femmes.
Beaucoup, beaucoup, beaucoup, oui.
Et aujourd'hui, on peut même
du travail des femmes immigrantes.
C'est vrai.
Mais on ne pense jamais à elles.
Tu sais?
Donc, il faut les visibiliser.
Il faut les rendre visibles.
Et donc, c'est ma seule... Puis il n'y a pas de retour. Il faut aim rendre visibles. Et donc, c'est ma seule...
Puis il n'y a pas de retour.
Il faut aimer son retour.
Parce que quand tu écris un mot,
c'est reconnaître le travail qui a été fait.
Puis c'est aussi de leur dire,
bien, ce que tu as fait, c'était la bonne chose.
Oui, on apprécie.
Il y a un retour.
Tu as existé.
Tu existes.
Oui, c'est ça.
Parce que tu ne peux pas le dire,
puis il y a un point de retour.
Donc, il faut écrire des mots. On retient ça. Oui. Oui, c'est ça. Parce que tu peux pas le dire, puis il y a un point de retour. Donc, il faut écrire des mots.
On retient ça.
Oui. Puis si c'est dans un pays où la langue,
je connais pas la langue, par exemple,
juste dessiner un cœur.
Tout le monde comprend ce langage-là.
T'en besoin de plus.
Ou une face sourire.
Un petit bonhomme sourire.
Oui. C'est tout.
Ça prend pas beaucoup pour pouvoir donner
un petit moment de joie
à quelqu'un. Tu sais, quand on a
le pouvoir d'offrir de la joie,
c'est énorme. Tu sais, des fois, juste
quelqu'un qui traverse la rue, on arrête
la voiture, puis il y a un échange de sourire.
Ça fait du bien. Ça fait du bien.
Tu sais, t'as juste arrêté ta voiture
pour laisser passer quelqu'un. Oui. Ou que c'est
l'inverse. Soit c'est le piéton, quelqu'un qui...
Alors qu'il doit arrêter parce qu'il y a des lignes,
mais quand même, on reconnaît...
Oui.
On reconnaît, merci de l'avoir fait.
Juste cet échange-là, c'est vrai que ces petits gestes...
Qu'on vit ensemble.
Même si on ne connaît pas la personne,
ça vient changer l'humeur.
C'est le contrat social qu'on se donne.
C'est de dire, on s'adhère, on vit ensemble.
C'est un petit mot de dire,
on est sur la même planète,
puis dans le même quartier.
On vient de vivre un moment en même temps.
Sans se connaître.
C'est extraordinaire.
Niveau jaune, ma chère. Tu m'en donnes quatre.
Quatre?
C'est donc bien fun ce jeu-là
là tu vas en choisir une
je vais en choisir une
quelle est ta définition du mot liberté?
quel type d'amoureuse es-tu?
qu'est-ce que la maternité
t'a apprise?
qu'est-ce que tu n'as pas reçu de tes parents
et qui t'a manqué?
juste un des quatre?
tu vas en choisir un des quatre
liberté on en a parlé beaucoup.
Donc, je vais te laisser...
Quel type d'amoureuse es-tu?
Qu'est-ce que la maternité t'a apprise?
Qu'est-ce que tu n'as pas reçu de tes parents?
Je vais toutes les répondre.
La maternité,
c'est vraiment l'humilité.
Et si j'avais seulement Justin,
probablement,
je ne l'aurais pas apprise, l'humilité.
Parce que Justin a eu la chance d'être né
avec tous les outils dont il a besoin
pour vivre dans notre société.
Donc, quand ça va bien,
tu penses que tout doit aller bien.
C'est ça, le problème.
Quand ça va bien, tu dis...
C'est pas là que tu fais les changements quand ça va bien.
Non.
Puis tu as même des attentes que tout doit aller bien.
Parce que tu as tout ce qu'il faut.
Tu as tous les ingrédients.
Il n'y a pas de raison à ce que tu rates ta recette.
Exactement.
Tu as raison.
Mais là, il te manque des ingrédients.
Là, tu dois être créatif
et tu dois vraiment suivre juste les ingrédients. Là, tu dois être créatif et tu dois vraiment suivre
juste les ingrédients qui sont là.
Et là, je reviens au Vietnam
où, au marché, tu ne peux pas trouver
ce que tu veux en tout temps
dans une zone de conflit.
Il y a des moments où
il n'y a pas les ingrédients que tu veux.
En fait, beaucoup de fois,
où tu n'as pas ce qu'il faut.
Et donc, tu dois vivre avec
ce qui est là. Donc, il y a un lâcher-prise
déjà, n'est-ce pas?
Alors que nous, maintenant, quand on va
chez IGA... — On a des attentes.
— Bien oui. — S'il y a pas ce que tu veux,
tu comprendras pas. — Exact. Et là, tu te
plains, là, auprès de...
— Oui, oui. C'est ça, l'étagère,
c'est vide.
— Où est la levure, là? Où est la levure? Tu t'en souviens?
Oui, oui.
Là, on capote parce qu'il n'y a pas de levure.
Mais pour un Vietnamien ou une Vietnamienne
qui va au marché et que tu n'as pas ce qu'il te faut,
c'est normal.
La taille de soulier, il n'y avait jamais
ta taille au Vietnam à l'époque.
Parce que c'était importé.
C'était des fendlings.
C'est des chaussures
parce qu'ils ne se vendaient pas ici
donc tout le monde, on portait soit trop grand
soit trop petit, c'est jamais ta taille
c'est normal
donc l'inconfort est normal
c'est le confort qui est anormal
tu vois, alors que nous ici
mon dieu c'est demi-taille
puis en plus on met des semelles
puis bon en tout cas
et donc Valmont est venu me rappeler
qu'on doit s'adapter à la vie
et non pas la vie qui doit s'adapter à nous.
Alors qu'on vit dans une société
où on peut exiger à la vie de s'adapter à nous.
C'est ça qui est fou.
On est dans un monde où on peut exiger à la vie de s'adapter à nous. C'est ça qu'il faut. On est dans un monde
où on peut exiger ça
de la vie. Alors que
non, dans la vraie vie,
c'est que la vie...
Mais c'est ce que les changements climatiques apportent, je trouve.
Cette notion de
on ne contrôle pas tout.
On ne contrôle pas.
Et il y a des choses plus fortes que nous auxquelles on doit s'adapter.
Toi, tu l'as vécu dans ta maison.
Oui, avec Valmont.
Comment t'as pris cette nouvelle-là?
Comment t'as vécu ça, justement,
cette grande adaptation-là?
C'est ton enfant.
Donc, dès le premier jour, tu dois t'adapter
déjà à l'enfant.
Le défi, en fait, est au quotidien.
Donc, c'est pas comme du jour au lendemain.
Donc, c'est plus facile.
Donc, t'apprends vraiment étape par étape
pour arriver.
Et quand on a eu le diagnostic,
c'est juste la confirmation de quelque chose.
Parce que comme aussi, t'avais eu un enfant avant,
des fois, quand c'est le premier,
c'est plus difficile de noter
de certains signaux
au niveau du développement,
peu importe.
Et là, est-ce que toi, ça a été rapide
où tu te dis qu'il y a quelque chose de différent?
Oui, parce que je le mesurais avec Justin.
J'avais une comparaison possible.
Donc, on a, comment dire,
saisi les difficultés de Valmont
très rapidement, avant l'âge de 12 ans.
C'est très rapide.
Et tout de suite, on était dans le plan d'action.
Comment faire pour l'aider à son plein potentiel?
On n'a jamais, son papa et moi, Francis et moi,
on n'a jamais pensé une seule seconde à dire
comment on fait pour guérir Valmont.
De un, on a compris tout de suite que l'autisme, c'est une condition, c'est pas une maladie. Donc, pour guérir Valmont. On a compris tout de suite que
l'autisme, c'est une condition. C'est pas une maladie.
Donc, tu guéris pas ça.
C'est comme être né garçon
ou fille. Et oui,
il y en a qui sont pas bien
dans l'identité biologique,
mais ils changent. Autrement,
la majorité, disons,
c'est comme ça. C'est tout.
Puis, t'acceptes ton enfant tel quel.
Alors avec Valmont, tout ce qu'on a fait
et tout ce qu'on continue à faire,
c'est de lui donner les outils nécessaires
pour qu'il soit à son plein potentiel.
Pourquoi son plein potentiel?
Pour qu'il puisse être heureux,
pour lui enlever le plus d'irritation
et de frustration possible,
pour qu'il puisse être en communication avec nous, pour qu'il puisse nous dire
ce qu'il a besoin,
ce qui le rendrait heureux,
ce qui le rendrait confortable.
Et je te dirais, jusqu'à aujourd'hui,
au moment T, aujourd'hui,
je crois que Valmont est à
95 % heureux.
Il a quel âge maintenant?
22 ans.
Et en tant que parent,
tu le sais, tout ce qu'on espère, c'est que
nos enfants soient heureux. Qu'ils soient
astronautes, qu'ils soient plombiers, qu'ils soient...
On veut juste qu'ils soient heureux.
Et t'en es là. Il est heureux.
Il est heureux. Et je me demande
s'il est pas... Je suis capable de lire
Valmont plus que Justin.
Parce que Justin, il a la parole.
Il peut ne pas me laisser
voir qu'il a ses inquiétudes,
qu'il a ses angoisses,
qu'il a ses doutes.
Il est capable de jouer avec les mots,
d'avoir un masque,
peut-être une apparence.
Mais pas dans le cas de Valmont.
Puis Valmont, il est collé à moi.
Donc, je le sens.
Juste le teint.
Quand il se réveille, je sais qu'aujourd'hui,
il y a quelque chose qui ne va pas.
Je le connais jusqu'à ce point-là.
Puis comme de fait, une demi-heure plus tard,
il y a une tempête électrique qui l'attaque.
Il y a comme un mal de bloc.
Alors que Justin, il peut ne pas me laisser voir tout de suite.
Puis tu vois, ce matin, j'ai su que
il a eu des maux de tête
sévères, des migraines,
Justin,
puis il ne m'en avait pas parlé.
Puis je suis comme,
mais pourquoi tu ne m'en avais pas parlé?
Bien, il ne vit pas avec moi, donc je ne vois pas
ces crises de migraine.
Alors que pour Valmont,
je le vois.
Juste en regardant ça en train.
Est-ce que ça ralentit aussi le rythme, ça?
Mon rythme à moi?
Ton rythme à toi?
Complètement. Heureusement.
Je pense que c'est grâce à Valmont que
je continue à être très ancrée.
Tu vois?
Sans Valmont, je pense que,
oh mon Dieu,
je voyagerais 300 jours sur 365,
j'aurais accepté
des résidences à l'étranger,
je me serais perdue dans le tourbillon.
Avec Valmont,
j'ai pas le choix, je reviens.
Il y a comme un essentiel.
Oui, puis quand je suis avec Valmont,
on est dans l'essence.
Pas juste dans l'essentiel, on est dans l'essence. Pas juste dans l'essentiel.
On est dans l'essence des choses.
J'ai pas le choix.
Il faut.
Et donc, tu sais, pour Valmont,
qu'on me donne un prix
ou qu'on me...
Il s'en tape.
T'es juste ma mère.
OK, c'est tout.
Et donc...
Et ça, ça ramène, comme tu disais, à l'essence tout le temps.
Mais oui.
Tu peux pas être à côté.
Parce que ça a pas de valeur pour lui.
Il a aucune valeur. Il veut juste sa mère.
Et sa mère doit être juste
sa mère. Rien d'autre.
Et ça, ça te ramène
exactement là où t'étais. Et ça, ça te ramène exactement là où tu étais.
Et ça, il me ramène à toutes les cinq minutes.
Donc, c'est très bon.
Tu vois? Juste le fait
qu'on a essayé le taxi adapté
pour aller chercher
les personnes qui ont un handicap
comme le moyen de transport
en commun.
Et le taxi est arrivé en retard.
J'étais à Halifax en rencontre.
Mais si le téléphone sonne,
que je sois en rencontre ou pas,
je le prends.
Quand je vois que c'est le centre 4 poches
qui m'appelle, je le prends.
Peu importe que ce soit le premier ministre
ou le pape,
je le prends, mon téléphone.
Je dois régler cette question-là
avant tout.
Ça te ramène
pas mal
à l'essence.
Ça fait « Ouf! Je reviens. »
Tu reviens, mais en même temps,
ça fait qui tu es aussi.
Probablement.
Et je remercie le ciel d'avoir ça.
Et ça ramène tout le monde.
Ça ramène mon chum.
Je pense que c'est grâce à Valmont
que lui, après avoir habité
en couple seul
sans ses parents pendant 36 ans,
est capable de vivre
aujourd'hui avec ses parents.
Et au début, la décoration,
on a amené ce que les parents avaient
à la maison. Puis c'est sûr qu'ils n'ont
pas le même goût, disons, mon chum
et ses parents.
Puis j'ai dit, il faut que tu penses
que tu habites chez tes parents
et non pas les parents qui viennent habiter
avec toi.
Perspective. OK? Donc,
tu habites chez tes parents. Tu retournes
chez tes parents. Donc, tu dois accepter
leur maison.
Ce qui les rend confortables.
Et nous, on s'adapte à eux et non pas l'inverse.
À leur âge, ce n'est plus à eux de s'adapter à nous.
Nous, on est encore assez jeunes pour s'adapter à eux.
OK?
Puis c'est le dernier chapitre.
Tu n'auras pas la chance de vivre ça longtemps.
Tu n'auras pas la chance de t'adapter à eux longtemps.
Profite de cette flexibilité-là
que tu vas te donner à toi-même
de t'adapter à eux.
Autrement, tu n'auras plus l'occasion
de t'adapter à qui que ce soit.
Ta dernière chance.
Quelle sagesse.
Mais tu es d'accord avec moi?
Je t'écoute parler, je bois tes paroles, Kim.
Dans leur décoration, bien oui,
qu'est-ce que tu veux, ils sont d'une autre époque.
Comme nos enfants
vont réagir comme ça.
Mais oui.
Comme ton garçon de vieux jour.
Mais il a bien réagi à ça, ton amoureux?
Oui, oui, oui. Au début, c'est sûr que, comment je réagi à ça, ton amoureux? Oui, oui, oui.
Non, bien, tu sais, au début, c'est sûr que...
Comment je te dirais ça?
Il a fait toute sa vie adulte indépendant.
Donc, de retourner...
Tu sais, comment ça, mon père,
il veut toujours s'asseoir à la table
qu'on doit utiliser comme comptoir de cuisine,
tu sais, devant le frigo.
Je lui ai dit, c'est le plus proche du frigo.
Il a une mobilité
un peu réduite.
Pour lui, c'est le plus facile.
Il s'assoit à cette table-là.
Ça devient son bureau, si tu veux,
dans la cuisine.
Je lui ai dit, arrête.
C'est ça, son habitat naturel.
C'est là.
Quand tu dis s'adapter, ça passe par là.
Bien oui.
Il faut que tu le regardes avec ses yeux à lui
et pas comme toi qui gambades en maison.
Je pense que tu vas calmer bien du monde
en disant ça parce que c'est vrai
qu'on a tendance, surtout dans nos maisons,
à vouloir que les autres s'adaptent.
Et là, de dire non,
t'es l'enfant,
ça doit t'adapter aux parents.
Tu sais ce qu'on reçoit en retour?
L'autre jour, son père était en train de ranger les papiers
parce qu'il y a beaucoup de papiers.
C'est un fiscaliste.
Il n'y avait pas du papier.
Et là, il a retrouvé des lettres d'amour,
la correspondance entre sa femme et lui.
Et là, on est passé devant,
on dit, qu'est-ce que tu fous là?
Puis on voyait des vieilles enveloppes et on a commencé
à lire. Écoute, tout le monde a pleuré.
Tellement c'était beau
ce qu'il s'écrivait.
Il signait
ton lion qui est rugi
d'amour à sa femme.
Ça fait 60 ans qu'ils sont ensemble
puis c'est extraordinaire,
tu sais, ils ont eux-mêmes oublié
qu'ils ont été des amoureux,
tu sais, à l'époque, et donc de relire
ça ensemble,
puis ça, tu peux pas avoir ces moments-là
si tu venais
juste pour souper. – Oui, c'est ça, un dimanche
après-midi. – Ça arrive pas, ça. – Ce repas-là.
– Oui. Tu sais, puis t'as pas
de moment où, écoute,
si j'allais juste souper, je pourrais pas
oser lui acheter
un pyjama.
Mais là, on vit ensemble.
Et je les remercie.
Parce qu'ils me connaissaient pas
quand ils ont accepté, peut-être,
on s'était vus 5-6 fois.
Et de faire confiance,
de un. puis deux,
l'audace de dire,
OK, je vais
oser exposer
ma vulnérabilité devant
quelqu'un que je viens de rencontrer.
Parce qu'ils sont dans des moments très vulnérables
de leur vie, n'est-ce pas?
De dignité,
parce qu'ils ont
besoin d'aide,
ils sont fragiles, ils sont vulnérables,
et oser
exposer ça à une fille
qu'ils viennent de rencontrer.
C'est énorme.
Je reçois ça là comme une confiance
incroyable.
Jamais je pensais
qu'ils allaient dire oui à moi.
Une nouvelle fille dans leur vie.
Mais t'imagines, c'est pas évident
de se montrer vulnérable.
Mais ils sentent que t'es prête à accueillir ça aussi.
Probablement.
Écoute, j'ai acheté des bobettes.
Puis il m'a dit,
« Kim, non, j'ai besoin que ça monte
en haut de mon ombri
j'ai acheté des trop modernes
ah c'est drôle
en fait c'est pas lui qui me l'a demandé
mais tu sais dans la vache
je voyais que c'était un peu usé
je lui ai dit je vais y acheter des plus funky
un peu
tu t'es fait ramener
non Kim ça me prend des fruit of the loom les plus funky un peu. Si t'es faite ramener. Oui.
Non, ça me prend des fruits of the loom.
Mais j'adore qu'ils nomment,
qu'ils te le disent au lieu de dire je vais... Donc, il se sent assez à l'aise.
Ben oui.
Et pas juste dire je suis pas bien.
Non, mais c'est ça.
Je les remercie vraiment beaucoup
d'oser faire ça.
Ma question que j'ai choisie, c'est
quel type d'amoureuse es-tu?
Ah!
J'aime beaucoup aimer
dans des petits gestes
du quotidien.
Dans des petites affaires de rien.
Ne serait-ce que juste
comme ce matin, il aime beaucoup
le jus de pamplemousse frais.
Et mon Valmont, il mange le pamplemousse,
mais il ne prend pas le jus.
Mais il extrait toujours le jus dans un verre
parce qu'on a l'habitude de faire ça pour ne pas gaspiller.
Et de penser là, parce qu'il est venu prendre Valmont et moi
pour l'emmener au centre,
et de penser à juste apporter ce petit jus de pamplemousse
dans l'auto pour dire
j'ai pensé à
lui apporter ça.
J'adore ça.
Je n'ai pas besoin de merci.
Juste le geste que moi je le fais,
je suis contente avec mon moi-même.
Je n'ai même pas besoin
qu'il souligne
ou qu'il dise quoi que ce soit.
C'est presque un...
Et tomber en amour dans la cinquantaine,
est-ce que tu t'attendais à ça?
Non. Non, non. J'avais déjà terminé.
Je m'en allais chez les sœurs.
T'avais mis un X sur ta vie amoureuse.
Oui, j'étais déjà comblée, si tu veux.
J'avais l'impression que...
Tu sais, la vie, pour moi, c'est comme un buffet.
Puis à un moment donné, t'as... T'as plus faim. T'as plus faim. Et j'avais l'impression que la vie, pour moi, c'est comme un buffet. Puis à un moment donné, t'as plus faim.
T'as plus faim.
Et j'avais plus faim.
Pas que je trouve pas que c'est beau,
ce qui est devant moi, mais j'étais comblée.
J'étais dans la plénitude, dans la sérénité
d'avoir reçu énormément de la vie.
J'ai pas besoin de plus.
J'étais prête.
Et j'ai même fait
de la recherche et tout ça. Je dis, le jour où
je perds Valmont,
je m'en vais chez les soeurs.
Et parce que, bon,
l'espérance de vie des personnes autistes
est moins bonne, je te dirais,
que la moyenne.
Et Valmont,
il est né avec le cholestérol
élevé,
génétiquement, parce que ça vient du lac Saint-Jean,
je te dirais.
– Son père vient de là.
– Oui, et donc il est hypothéqué un peu.
Il est en santé, mais on ne sait jamais.
Donc, je suis déjà préparée.
Le jour où je perds Valmont, je m'en vais chez les soeurs.
Et je t'en ai déjà parlé, mais c'est sûr que j'espère
que Valmont s'en va avant moi.
Parce que je veux
être celle qui est là
pour lui. – Mais tu sais, quand tu dis ça,
c'est absolument contre-nature pour un parent.
– C'est contre-nature. – Donc d'arriver à ce constat-là,
ça prend un grand cheminement.
– Oui, mais tout est contre-intuitif
avec Valmont.
Pour l'aimer, quand il vient
m'embrasser,
ma bonne réaction, c'est ne pas
bouger.
Ne pas me virer de bord puis le prendre en même temps.
Parce que ça, ça l'aurait.
Il va s'en aller.
Il va manquer ton moment.
Oui, donc ma façon de l'aimer,
c'est tellement contre-intuitif,
c'est rester droite, pas bouger
pour qu'il ait le temps d'enlever mes cheveux,
me donner un bec dans le cou,
me toucher, puis s'en aller.
OK? Ça, c'est...
Et oui, mais les premières fois,
je le faisais comme une merde
neurotypique, je te dirais.
Je me vire de bord
il est parti
alors il faut
et donc de l'extérieur, on peut regarder
on va se dire, oh mon dieu, la mère froide
qui réagit pas
mais c'est pas ça, si je veux recevoir son amour
la manifestation de son amour
il faut que je reste tranquille
et avant que je l'embrasse
je lui dis Valmont, m que je l'embrasse, je lui dis
Valmont, maman va
t'embrasser pour qu'il se prépare.
Puis il se prépare, tu le vois.
Il est tout comme...
Il est très affectueux,
mais il faut que ce soit selon son
rythme. Tu vois, quand je viens
et je dis, ah, maman va te coller.
Là, il ouvre sa couverture, puis il veut,
puis il me fait coller, puis tout ça.
Mais c'est... Il faut que je lui dise.
Donc, c'est très
contre-intuitif, n'est-ce pas?
Mais je...
Avec le temps, tu t'habitues.
Et t'as dû faire
ce constat-là,
que dans le fond, tu préférais
être à ses côtés
s'il est...
Tu veux l'accompagner
jusqu'à sa fin, à lui.
Oui, j'ai l'arrogance de croire
que je suis la meilleure.
Je suis celle qui le comprend le mieux.
C'est pas vrai, mais dans ma tête,
je pense que je suis celle-là.
Et j'aurais une paix d'esprit,
si tu veux.
Si je savais qu'il était accompagné,
bien accompagné jusqu'à la fin.
Donc, égoïstement, je me dis,
il faut que je parte après.
C'est moi qui ferme la porte.
C'est moi qui ferme la piste, tu vois.
Et donc, j'étais déjà préparée à ça.
J'étais bien avec ma vie.
Ça me suffisait.
Et je m'en allais chez les soeurs après Valmont, si je mourrais pas aussi.
Et les soeurs Carmelites.
C'était très le fun.
Donc, cloîtrée?
Oui.
Tu t'en allais cloîtrée?
Oui. J'adore l'idée.
J'adore ça.
Mais en même temps,
c'est consacrer ta vie à Dieu.
Je sais pas si c'est Dieu qui m'a... Parce que j'ai pas de religion. C'est ça, Mais en même temps, c'est consacrer ta vie à Dieu. Je ne sais pas si c'est Dieu
qui m'intéresse parce que je n'ai pas de religion.
C'est ça, parce que si tu vas chez les carmélites,
ils sont un peu mariés à Dieu.
Je ne savais pas.
Toi, c'est la notion
de cloîtrer.
Je comprends parce que c'est comme dédier
sa vie à une religion.
Mais toi, dans le fond,
ça aurait été pour réfléchir.
Juste me retirer.
Et toi, tu aimes le silence.
C'est un endroit dans lequel tu es bien aussi.
Je suis très bien.
En fait, je dis ça,
mais je peux très bien être dans un cabanon
au fond d'un bois,
puis je vais être bien aussi.
Donc là, l'amour est arrivé comment?
Accidentellement, comme ça.
On avait une petite fenêtre de 10 secondes
si on ne s'était pas croisé à ce moment-là
on se serait manqué
c'est 10 secondes, je te dis c'est 10 secondes
c'est fou là, mais tu sais
la vie
est étrange comme ça
puis je ne cherchais pas, je ne cherchais certainement pas
et
tu sais quand on parle de coup de foudre
c'est probablement ça
tu comprends pas ce qui t'arrive en fait
pis je
j'avais aucune idée
pendant qu'on se parlait
le café qui devait durer
une heure a duré cinq heures
pis c'était un café professionnel
rien à voir avec rien
mais ça a duré cinq heures
pis c'était très professionnel.
Dans ma tête, professionnel.
Dans le sens où on échangeait nos vies professionnelles.
Rien d'extraordinaire.
Je peux te parler aussi cinq heures.
Je pense qu'on peut...
Oui, on pourrait facilement.
Facilement.
Pour moi, il n'y a rien de particulier là-dedans.
Mais quand même, il y a un indice que tu es bien.
Oui. Pour échanger aussi longtemps, si indice que tu es bien. Oui.
Pour échanger aussi longtemps,
c'est que tu es bien dans ce lieu-là
avec cette personne-là.
Oui.
Puis tu sais, c'est le hasard des choses.
Tu sais, qui fait que...
On s'est recroisés.
Et là, tu sais, c'est comme...
Oui, tout de suite.
C'est quand tu l'as recroisé que tu as compris.
Oui.
Puis, mais... Est-ce que là, tu ne contrôlais plus? On n'y croyait'as recroisé que tu as compris. Oui. Puis, mais...
Est-ce que là, tu ne contrôlais plus?
On n'y croyait pas du tout, du tout, du tout.
Puis on ne s'était même pas, tu sais, physiquement,
même pas touché le petit doigt.
Il n'y a rien, rien, rien que l'échange,
que la conversation à distance.
À distance, j'étais en tournée.
Il n'y avait pas de... tu sais, rien.
Donc, il n'y avait pas de... Rien! Donc, il n'y avait pas
d'attente, mais
la connexion
était là. Puis,
la vie nous a donné ça. Donc,
tu te poses la question, est-ce que
tu t'y lances ou pas?
Mais à 50 ans,
comme tu le sais, après 50 ans...
On a exactement le même âge, on a 55 ans les deux.
Tu te dis...
OK.
Tu reconnais la beauté encore mieux
à 55 ans qu'à 30 ans.
Tu sais ce qui est rare,
parce que t'en as assez vu.
Et c'est là où...
On se dit, bien...
Mais de toute façon, c'était pas un choix.
Ça se contrôlait pas, ça.
Ça se contrôlait pas. On. Ça se contrôlait pas.
On se disait pas, on y va-tu, on y va pas.
Il y avait pas cette option-là.
C'était juste, eux, on est là.
Et c'est tout. On est là.
Est-ce que tu te reconnaissais dans ce que tu ressentais?
Ah, mon Dieu, c'est avec lui.
Tout de suite, très rapidement, je me dis...
Je lui ai dit comme ça, j'ai dit... C'est drôle, je n'avais jamais ressenti la soif de vivre.
OK, je ne l'ai pas.
Puis, j'avais la responsabilité de vivre, de ne rien gaspiller de la vie qui m'est accordée.
Mais je n'ai pas la soif de vivre.
Je peux mourir demain, puis je suis correcte avec ça.
Vraiment, je l'avais pas pantoute, cette soif de vivre.
Oui, je trouve la vie
extraordinaire, elle est tellement
belle, mais j'en veux pas plus.
J'ai pas la faim
de ça. Zéro.
Tu vois, je reçois juste ce qui m'arrive.
Et donc, à 53 ans,
de ressentir pour la première fois
la soif de vivre,
l'envie de vivre.
Mon Dieu, c'est vertigineux.
Je ne l'avais jamais vécu.
C'était...
Mon Dieu, c'est ça.
Tu vois?
Et puis, tout de suite après,
pas seulement cette envie de vivre,
mais de sentir tellement libre.
Et je lui ai dit comme ça,
je me suis jamais sentie aussi libre
qu'avec lui.
Il dit, qu'est-ce que tu veux dire?
C'est-à-dire qu'on n'est pas ensemble?
Non, libre d'être soi.
Libre de rêver.
Libre d'aller aussi loin que tu veux.
Tu n'as pas de contraintes, rien.
Tu n'as pas à te tortiller pour rentrer dans un contenant ou quoi que ce soit.
Et donc, il dit, on est un plus un égal trois.
Donc chacun, on est entièrement qui on est est parce que l'autre nous permet de le faire
et ensemble, on devient exponentiel.
Tu vois.
Il dit 3, mais je dis peut-être 5.
C'est pas 3, tu sais.
Mais mathématiquement, je sais pas comment on calcule ça.
C'est-à-dire quand vous unissez vos forces,
on peut voir un couple des fois comme, tu sais,
deux ronds, il y a une intersection.
Non, c'est ça. Nous, c'est pas ça.
Vous autres, c'est plus, c'est explosé. Oui, oui. Les deux ronds, là, sont là, puis là, il y a une intersection. Non, c'est ça. Nous, c'est pas ça. Vous autres, c'est plus... c'est explosé.
Oui, oui. Les deux ronds, là,
sont là, puis là, il y a plein de...
Quand les deux ronds se touchent, ça part.
C'est un petit...
Donc, cette liberté-là,
je l'ai acquise. Je peux
l'identifier et le vivre.
Avant, j'étais libre pour moi-même,
si tu veux. Mais...
Oui, je l'avais déployé, mais pas
dans le quotidien
presque. Alors qu'avec lui,
j'ai ça, j'ai cette liberté-là
et j'ai cette soif
de vivre.
Pas que j'ai peur de mourir,
pas du tout. Je peux mourir demain.
Mais tu ne veux pas rien manquer, là.
C'est ça?
Ça ne me dérange pas de manquer.
Sauf que pendant que c'est là,
c'est extraordinaire
de savourer,
tu vois, de dire, ah,
mon Dieu, toutes ces saveurs qui s'ouvrent
dans ta bouche, tu sais.
C'est
génial. Est-ce que ça t'a
donné le goût de faire des projets?
Oh, mon Dieu, on a comme 3000 projets sur la table.
Pas dans le tiroir, sur la table.
Justement, juste pour venir ici,
pendant 45 minutes,
il y a 3000 projets qui sortaient par les oreilles.
Puis lui est dans l'action.
Il n'est pas comme moi.
Moi, je ne suis pas très bonne pour mettre en œuvre une idée.
Lui, il met en œuvre des idées.
Alors, quand je lance une affaire, c'est ça.
As-tu découvert quelque chose chez toi?
Tu parles quand même de la soif de vivre, c'est important.
Mais dans ce que tu es profondément,
est-ce que tu t'es découverte?
Que j'avais beaucoup de...
Que je savais pas encore comment profiter
de toute cette liberté d'être.
Donc, c'est avec lui que je vois encore plus
la profondeur de cette liberté d'être.
Que je savais pas que ça existait.
C'est un grand cadeau de la vie, ça.
Oh, mon Dieu!
Tu sais, je le souhaite au monde entier.
Parce que... « Oh mon Dieu! » Je le souhaite au monde entier parce que se sentir entière,
c'est incroyable.
On est-tu d'accord
que je mesure 4 pieds 11 et 3 quarts
et il ose dire
que j'ai les plus belles jambes au monde?
L'affaire, c'est qu'il réussit
à me faire croire ça.
Je me permets de croire ça, dans le sens
où, peut-être pas
avant, mais après 50 ans, tu dis
tu te permets de croire
ce que les gens voient en toi et non pas
ce que toi, tu te vois.
Comment toi, tu te vois.
Et j'ai dit ça à mon éditrice
aussi, à Edouard, à un moment donné,
il dit, mais comment tu fais, après 50 ans,
rencontrer quelqu'un qui peut être confortable?
Dans l'intimité.
J'ai dit, ben, il me croit belle.
Pourquoi moi, je vais aller me dénigrer?
Non, je vais me voir
comme ses yeux me voient.
Comme dans son regard, oui.
Mais oui, il me trouve belle.
Elle va me trouver belle aussi.
Mais ça, c'est ce que ça a changé, justement,
dans ta confiance par rapport à ton corps?
Avant, je m'en foutais un peu parce que j'étais séparée
depuis un bon bout, depuis plusieurs années.
Donc, mon corps, mon corps, il fonctionnait.
Est-ce que ton corps fasse réagir un autre corps aussi?
Ben oui, c'est extraordinaire.
Tu te dis...
En 55 ans, c'est quand même fou.
Parce qu'il y a cette dimension-là aussi
de l'intimité, de cette zone-là
qu'on partage avec peu de gens.
Et là, tu avais pratiquement fait un X aussi
sur cette zone-là.
Oui.
Alors, de redécouvrir quelqu'un d'autre,
d'avoir une autre perception de ton corps aussi.
Tout à fait. Et de laisser.
Tu sais, ce que tu dis, c'est grand.
D'accepter ça. Et de pas
dire, voyons donc, voyons donc.
C'est pas ça. Oui, c'est ça
parce que tu le vois. En plus, tu dis
que tu te regardes pas dans le miroir.
Quand tu dis que c'est dans le regard de l'autre,
ça t'amène aussi à accepter ça.
– Bien oui.
J'avais le complexe de gros mollets.
Je ne sais pas d'où ça vient.
Écoute, je n'ai jamais eu autant de photos de mes mollets.
Et ça, il ne savait pas que j'avais un complexe de mes mollets.
– Puis lui, il aime tes mollets.
– Bien oui.
Il a vu mille photos de mes mollets.
Pendant que je fais une conférence en avant,
pendant que je marche ou je monte l'escalier,
il dit, c'est incroyable tes mollets.
Là, je suis comme, ah!
Mais là, la première fois,
mais après ça, je suis comme,
oui, j'ai les plus beaux mollets au monde!
Mais ça apporte la légèreté, je trouve,
de t'entendre dire ça.
Mais, tu sais, ça fait du bien.
Mais c'est vrai que...
Puis je me demande si les femmes,
on n'a pas plus cette tendance-là aussi à refuser.
Oui, on refuse.
Les compliments, on refuse ça,
puis on se braque à dire,
mais c'est peut-être pas tout à fait ça qu'ils pensent.
Exactement.
On fait douter l'autre.
Bien oui.
Et pourquoi tu veux mettre dans la tête de l'autre
que t'as des gros mollets? Tu sais, pourquoi tête de l'autre que tu as des gros mollets?
Pourquoi tu veux lui dire
j'ai des gros mollets, ils sont pas beaux.
Pourquoi tu dirais ça à quelqu'un?
C'est drôle comment
notre cerveau fonctionne.
On se facilite pas la vie.
Non. Alors que l'autre te dit
t'as des beaux cheveux.
Non, ce matin.
Pourquoi tu veux mettre dans la bouche de l'autre dans le regard de l'autre? Non, mes cheveux sont pas beaux cheveux. » « Ah non, tu sais, ce matin, ça... » « Non! Pourquoi tu veux mettre dans la bouche de l'autre,
dans le regard de l'autre? Non, non,
mes cheveux sont pas beaux.
Il a dit que tes cheveux
sont beaux. Crois-le, c'est tout.
Quand je t'ai vu tout à l'heure,
j'ai dit, ah, tu sais, je sais pas,
il y a une certaine légèreté, je sais pas si
c'est parce que t'as changé, t'es sortie d'une structure
assez grande, assez lourde.
— Ah oui, oui, oui, oui, oui, oui, par rapport
à ma vie télévisuelle
mettons, niveau professionnel
ça affecte toute la vie
quand t'arrives dans plus de
légèreté, moi c'est la spontanéité
qui me manquait beaucoup
parce que je trouve que la spontanéité ça te permet
justement de découvrir
d'accueillir, de comprendre
de se tromper,
de recommencer.
Ben oui, c'est de rire
de soi aussi.
Moi, ça m'a ramenée dans une zone aussi
de plus de vulnérabilité parce que
quand t'es habituée de faire quelque chose,
tu te poses moins de questions.
Je n'étais pas sur un pilote automatique,
mais quand même, il y avait une zone de confort.
Alors là, tu te lances.
Ce n'est pas trop que ça va donner.
Ce n'est pas trop que ça va marcher.
Je ne me projette pas vraiment dans l'avenir.
J'aime beaucoup être...
Pour moi, ce que je fais, c'est toujours ce qui est le plus important.
Je suis toujours absolument passionnée par ce que je fais.
C'est ça.
Quand je vais être tannée, je vais faire d'autres choses.
Je vais être passionnée par d'autres choses.
Mais il n'y a pas de...
Dans 5 ans, dans
10 ans. – On sera-tu
encore là? – On ne sera pas, c'est ça, on ne sait pas.
Mais tu sais, ce que tu dis, je trouve ça fondamental.
En fait, il y a plein de choses que tu dis depuis le début
que je me retrouve
plus en spectatrice qu'en
intervieweuse. Quand
tu dis, tu sais, acceptons
le regard de l'autre. – Mais oui.
– Parce que, à mots
osus qu'on perd du temps,
des fois, ne pas s'aimer,
pas parce qu'on n'a pas quelqu'un qui nous aime devant nous,
c'est parce qu'on ne veut pas le croire.
Oui, puis on se le refuse.
Puis l'affaire, évidemment, on est d'accord
qu'on doit s'entourer
de gens qui nous aiment.
Je dis, la vie est tellement courte,
je n'ai pas assez de temps pour aimer ce que
j'aime comme il faut. Comment je vais aimer?
Alors, pourquoi se donner du mal?
Tout faire pour se faire aimer. Oui.
Ah non, mais c'est correct. Tu sais, toi,
t'aimes pas tout le monde. Alors, pourquoi
tu t'attends à ce que tout le monde t'aime? Tout le monde t'aime, exactement.
C'est correct, c'est correct. Il y en a qui aiment pas
mes mollets. C'est correct.
Vous avez le droit. Mais oui,
puis c'est... Éc Vous avez le droit! – Oui!
Écoute, j'aime tellement,
il y a tellement de monde avec qui j'aimerais passer plus de temps,
puis j'ai pas assez de temps. Alors,
pourquoi? Et donc,
quand t'es entouré de gens
qui te sont proches,
qui sont bienveillants envers toi, crois-les.
Et c'est eux
qui te voient mieux que toi.
Et je dis toujours, je dis, tu peux pas voir ton dos.
OK, mon chum, il sait pas, là,
que son dos est un petit peu courbé ici.
Mais là, il sait.
Ah, mon Dieu, que je lui répète ça.
Mais, tu sais, et l'expérience que je dis souvent,
filmez-vous, là, dans une foule, là,
en train de marcher de dos,
puis le montrer à des amis, en train de marcher de dos, puis le montrer
à des amis, des proches et vous-même,
puis vous allez voir, vous allez être
la dernière personne à vous reconnaître dans la foule.
Parce que les autres sont habitués
à te voir de dos.
Toi, quand est-ce que tu te vois de dos en train de marcher?
Jamais.
Donc, il faut écouter aussi...
C'est pour ça qu'on doit...
Pour avoir tous les angles de soi-même aussi.
Les angles qu'on ne voit pas,
accepter le regard de l'autre.
Oui, puis se reposer sur eux aussi.
Shakespeare disait
« The beauty is in the eyes of the beholder ».
La beauté dans celui qui admire
à quelque part.
Ça a l'air d'une phrase simple, ça.
Mais c'est toute une discipline.
Quand on l'accepte que la beauté est dans le regard
de l'observateur,
si on accepte ça,
je pense qu'on s'enlève
comme une bûche de pression.
Juste les enfants.
Nos enfants pensent évidemment
qu'on est la meilleure mère au monde.
N'est-ce pas?
Absolument.
C'est la seule mère qu'ils connaissent aussi.
Alors, pourquoi on l'accepte pas?
Pourquoi?
Pourquoi on n'agit pas envers eux comme étant
« Bien oui, je suis la meilleure mère qui existe. »
Au lieu d'avoir plein de culpabilité
de ce qu'on n'a pas fait.
Ou de ce qu'on aurait pu.
Alors qu'eux, ils ont'on n'a pas fait. Ou de ce qu'on aurait... De ce qu'on aurait pu,
alors qu'eux, ils ont vu ce que t'as fait.
Et ça... Ils nous aiment avec nos défauts. Parce qu'ils sont les premiers
à voir nos défauts. Ou nos faiblesses.
J'aime pas dire défauts, mais...
Les faiblesses. Puis ils les acceptent.
Ils les acceptent depuis tout le temps.
Puis quand ils vieillissent, bien, ils en rient.
Ça devient...
Ça devient des blagues.
Ça fait partie de toi.
Maman, tu es encore tâchée.
Maman, tu es encore tâchée.
Justin va dire,
maman, elle arrive toujours à l'heure juste.
Ça l'énervait beaucoup quand elle était petite.
Il n'est plus détaché,
mais tu es restée la même.
Mais oui.
Il n'y a pas d'autre mère.
Vous êtes capable d'en rire.
Mais oui.
Et donc, je me donne tout à fait le droit
de dire que oui, je fais la meilleure sauce de spaghettis ever.
Parce que...
Ton fils et tes fils te l'ont dit.
Parce que c'est leur première sauce de spaghettis.
Tu sais, qu'est-ce que tu veux?
C'est la meilleure. C'est la meilleure. Et c'est Michel première sauce à spaghetti. Tu sais, qu'est-ce que tu veux? C'est la meilleure.
C'est la meilleure. Et c'est Michel Rivard
qui m'a raconté que
Antonin, son fils,
est un grand chef.
C'est du mousseau et tout ça.
Mais quand il revient à la maison,
il veut le pâté chinois de son père.
Puis son père essaie d'améliorer
le pâté chinois. Il dit non,
je veux la version traditionnelle.
Parce que lui, c'est la nostalgie, les souvenirs.
C'est ça le confort.
Ce goût-là veut dire quelque chose pour lui.
Oui, ça, c'est mon père.
C'est pas manger un pâté chinois.
Je suis avec mon père.
C'est tout.
Et pourquoi...
C'est là où tu te dis,
mon fils est rendu un grand chef,
je devrais peut-être...
Non, c'est pas ça que je veux.
Je vais faire un pâté chinois déconstruit.
Oui!
Avec du canard.
Steak, blé d'ingres, patates.
Parce que lui, il est capable de le faire.
Son déconstruit.
C'est vrai, quand on va dans nos familles,
on veut manger les mêmes affaires.
Parce qu'on a la mémoire.
La mémoire du cœur aussi,
les sens, c'est de l'amour.
J'aime
beaucoup cuisiner pour les enfants
et j'en fais encore aujourd'hui,
je force des top-aware sur eux autres,
sur mon
fils et ma belle-fille,
parce que quand est-ce qu'on a le pouvoir
de créer la mémoire
de quelqu'un? Qu'on soit a le pouvoir de créer la mémoire de quelqu'un?
Tu sais, qu'on soit assez important pour rester dans la mémoire.
C'est très rare.
Et donc là, avec la nourriture,
depuis qu'ils sont tout petits,
bien, tu as le pouvoir de créer la mémoire.
La mémoire du premier curry,
la mémoire du riz qui cuit dans la maison,
le premier sandwich automatique. C'est toi qui crées cette mémoire du riz qui cuit dans la maison, le premier sandwich
automatique, c'est toi qui crées
cette mémoire-là.
Parce qu'aujourd'hui, je peux plus, là. Il y a 24 ans,
il vit tout seul, il, tu sais.
– C'est une mémoire importante.
Puis tu sais, quand t'arrives en couple,
ces deux cultures-là,
ça amalgame aussi,
ça rencontre. On n'a pas tous
la même mémoire, puis on refait ça avec nos enfants.
– Bien oui, bien oui. – Est-ce que tu es prête à passer au niveau rouge?
– Oui, oui, oui. – Tu m'en donnes trois.
– Trois? – Il va juste en rester.
– Il y en a de moins en moins. – Bien oui.
À quel besoin profond de ton amoureux répond-il?
Ça, c'est une question
que je n'aide pas au Jeannette Bertrand,
que j'aime beaucoup. As-tu négligé
certains aspects de ta vie?
Quel moment ou période de ta vie
fut le plus ou la plus
éprouvante?
Je vais répondre
à celle-là. Parce que les autres, on en a
parlé un peu. Quel moment
au période de ta vie
fut le plus éprouvant?
Mon amoureux te dirait
que j'en ai très peu parlé
de mon adolescence.
Ou je dirais, je définirais cette période-là avec,
si je devais utiliser un seul mot, c'est la honte ou l'humiliation, si tu veux.
Et la honte, dans ce sens, je te donne un exemple, puis tu vois tout de suite.
Tous les enfants, on doit remplir les formulaires,
le numéro de téléphone du père,
le nom du parent
avec le numéro de téléphone au bureau
et à la maison, n'est-ce pas?
Oui, dans les formulaires conventionnels.
Tu connais ça, la directrice d'école.
Oui, exactement.
Ça prend des numéros au travail.
Et mes parents, durant les premières années,
c'était très difficile.
Ils changeaient de travail à tous les mois,
presque. Les usines fermaient.
C'était en 79-80.
Comme tu disais tantôt, c'est la crise économique.
C'est là que les taux d'intérêt ont augmenté.
Les gens perdent leur maison. Ça a été une période très, très noire
au Québec.
Même pour les Québécois de souche, c'était difficile.
Au niveau économique,
c'était une période qui a frappé
tellement de monde. Parce que comme les taux
d'intérêt ont augmenté, les gens n'avaient plus...
C'était comme 18 %
ou quelque chose de tôt.
Les maisons, les gens ne pouvaient même plus
payer leurs maisons. Il y a eu des faillites.
Les usines fermées.
Donc, mes parents
ne pouvaient pas avoir
un numéro de téléphone au travail.
Surtout quand tu travailles dans une usine.
Personne ne te donne un numéro de téléphone.
Et donc, je ne pouvais jamais remplir cette case-là.
Et donc, tu as presque la honte de dire,
« Oh mon Dieu, tu ne peux même pas faire la chose de base
que tous les enfants pouvaient le faire.
À l'adolescence, c'est une période
où on veut faire comme tout le monde.
Oui.
Là, tu as honte de tes parents.
La difficulté, c'est que j'ai connu mes parents
dans des situations très privilégiées,
avec un chauffeur, avec des...
Je ne sais pas quel est le bon mot,
mais des gens qui travaillaient à la maison
pour nous. J'avais
Nounou 24 heures sur 24,
7 jours sur 7. Mes frères
avaient leur propre Nounou.
On était vraiment
entourés,
aidés, soutenus et tout ça.
Et tu arrives ici, c'est eux qui font le ménage.
C'est eux qui...
Donc, quand tu fais le ménage de chez quelqu'un,
tu n'as pas un numéro de téléphone.
Puis ça, c'était avant les téléphones cellulaires.
Donc, tu ne peux pas donner un numéro de téléphone.
Tu ne peux pas avoir un numéro de téléphone
quand tu es concierge dans une école.
Bien, concierge dans une école.
Quand tu fais l'entretien ménager.
– Tu n'as pas de bureau, c'est ça.
– Tu n'as rien. Tu n'as pas de point d'attache.
Et donc, tu as honte de tes parents qui ne fonctionnent pas comme les autres parents.
Et donc, c'est une période d'adaptation
qui était dans la honte, beaucoup.
Puis j'ai honte aujourd'hui d'avoir eu honte
parce que je regarde en arrière, puis je n'ai
que de l'admiration
pour mes parents
d'avoir réussi
à recommencer de zéro,
tu vois, à partir de zéro dollar,
au moins que zéro, parce qu'on avait une dette
envers le gouvernement pour notre billet d'avion
pour venir ici. Donc, on recommençait à moins que zéro. qu'on avait une dette envers le gouvernement pour notre billet d'avion pour venir ici.
On recommençait à moins que zéro.
Et ils ont bûché une journée à la fois,
une heure à la fois.
Et mon père me racontait
qu'il livrait les pizzas
et les restos chinois,
en tout cas selon le jour.
Et il dit que des fois,
on lui donnait 25 sous
pour boire.
Puis il remettait les 25 sous
dans la boîte à mâles de la personne.
Il ne voulait pas?
C'était...
Pour lui, c'était...
Ce n'était pas un réel pour boire.
C'était presque insultant
de donner... Ce n'était pas
un 25 sous. Je te dis 25 sous, mais peut-être un 5 sous à l'époque.
Ça, c'était pas, mettons, un 2 $ ou...
Non.
Tu trouvais que c'était pas...
C'était presque la façon insultante.
Tu te donnes un 5...
Il a gardé sa dignité, ton père.
J'ai pas besoin de ton 5 sous.
Mais de l'autre côté, tu sais,
on avait tellement pas d'argent, Marie-Claude,
mais la communauté, encore une fois,
on fonctionne en clan, là. Quand quelqu'un achetait une maison, tout le monde mett tellement pas d'argent, Marie-Claude, mais la communauté, encore une fois, on fonctionne en clan,
quand quelqu'un achetait une maison,
tout le monde mettait de l'argent ensemble
pour faire la mise de fonds
et après, on retirait cet argent pour la prochaine personne.
Et ils négociaient notre première maison à 38 000.
Imagine, 38 000, ils voulaient descendre à 36 000.
Et le couple vendeur, le mari disait,
ma femme vient de tomber enceinte.
On a perdu, il a perdu son emploi.
C'est pour ça qu'il doit vendre la maison.
Et mon père n'a pas négocié.
Il a accepté que ce soit 38 000 à 18 %
de l'auto hypothécaire.
Donc, c'était très lourd pour nous.
Alors que ma mère et moi, on faisait 2 piastres par jour.
Tu sais, c'est sûr qu'on pense aujourd'hui,
2000, c'est quoi?
Mais 2000, à l'époque, pour nous,
à 2 $ par jour, c'est long avant que tu arrives à 2000.
Et il a décidé que non, on ne négocie pas.
Dans des moments difficiles,
dans un jeune couple qui commence,
on est encore capable de travailler.
Et qu'est-ce qu'il faisait?
Il était livreur à gagner 25 cents de type de pourboire.
Puis il ne négociait pas sur le 2000.
Tu sais, quand je te disais que la valeur de l'argent,
l'argent ne devait jamais avoir un contrôle
sur nos décisions, c'était ça.
Pour lui, moralement,
c'était pas possible.
Et ça,
je savais pas à l'époque
comment apprécier
mes parents.
J'avais juste honte qu'ils soient livreurs.
J'avais juste honte qu'ils soient... Quand. J'avais juste honte qu'il soit...
Quand on te demandait ce que faisaient tes parents,
est-ce que tu le disais?
Pas tout de suite.
Tu vois? À l'époque.
Et à l'époque, on ne me demandait pas.
J'étais trop jeune.
Tu sais, secondaire 1, 2.
Je pouvais juste regarder au loin, là,
mes camarades de classe qui étaient classe qui portaient des polos
Ralph Lauren, je m'en souviens
encore de l'époque,
alors que nous,
on portait encore du linge
que les gens nous donnaient.
Mais les marques, je vais en profiter
parce que moi,
j'ai appris rapidement à mes enfants,
je suis loin d'être parfaite,
mais ça, moi aussi, quand j'étais plus jeune, je n'avais pas nécessairement accès. Moi, j'ai appris rapidement à mes enfants. Je suis loin d'être parfaite, mais ça, moi aussi, quand j'étais plus jeune,
je n'avais pas nécessairement accès.
Moi, j'étais comme toi, Ralph Polo.
C'était vraiment ça.
C'est les preppys.
Oui, exactement.
Je cherchais exactement les preppys
où vraiment, je trouvais que c'était la première fois
de ma vie que j'avais un contact avec une identification
basée sur le nom de quelqu'un qu'on ne connait pas
qui est sur un chandail. Ça, ça voulait dire
quelque chose. Je me souviens à l'époque aussi, quelqu'un qui avait
des broches. Puis ça voulait dire
que ses parents avaient bien réussi.
Heureusement, on n'en est
plus là. Mais je trouve
que ça
faisait vraiment une ligne,
ça distinguait.
Et moi, rapidement, mes enfants, quand il y en a
qui ont voulu avoir des marques,
j'étais non. La marque, c'est ton nom.
C'est pas ce que tu portes.
Parce que ça fait ce que tu viens de dire.
Ça fait une différence
quand on peut pas l'avoir, cette marque-là,
puis que les jeunes s'identifient à ça.
Il y a quelque chose,
moi, j'ai beaucoup aimé quand mes enfants, ils ont eu des
uniformes ou des collections de vêtements
pour aller à l'école.
Je me disais, au moins...
Ça met tout le monde sur le même pied.
Oui, exact, parce que ça fait mal ce que tu racontes.
Même aujourd'hui, tu y repenses.
Oui, mais je y repense dans le sens
où j'étais trop jeune et trop fragile
pour être sûre de moi
et dire je suis fière de mes parents
d'avoir traversé ça. Mais
heureusement ça n'a pas duré trop longtemps.
Est-ce que tu amenais des enfants chez toi?
Oui, oui, oui par exemple
parce que c'est très drôle
il travaillait dans un dépanneur
un perrette
et ce perrette-là était à Westmount
était vraiment sur le bord
de Westmount. Et donc, on a
loué un appartement près du Chemin de Fer.
Mais c'était Westmount.
Mais Chemin de Fer. Tu vois, c'était
vraiment pour les bonnes, si tu veux, à l'époque.
Et donc, on était là.
Et étrangement, mes frères
allaient à une école publique,
mais à Westmount. Et donc, il y avait des
enfants de Westmount qui allaient là.
Et ils voulaient tous venir chez nous.
Puis dans la chambre de mes frères,
ils étaient déjà trois, avec la laveuse dedans,
avec les cordes à linge dans la chambre.
Puis ils voulaient dormir avec eux autres.
Parce qu'ils étaient bien chez vous.
Oui, puis ils se battaient pour pouvoir rester
dans un petit appartement où on était sept,
avec une toilette.
Tu sais, comme c'était... Écoute,
ça pouvait pas être plus...
Comment dire? Démunis.
– Rudimentaire. – Oui.
– T'avais l'essentiel, encore.
Tantôt, tu parlais d'essence.
– Il y avait que l'essentiel.
– Ils se battaient pour dormir chez nous.
Tu peux-tu croire?
C'est pour ça que je te disais,
mes parents ont été
extraordinaires parce qu'ils ont très
rapidement nous donné cette
sérénité d'être juste
soi. Ce n'est pas l'environnement
qui change, qui t'est.
OK? C'est pas parce que t'as
pas d'argent que t'es pas capable d'être
digne. La dignité ne vient
pas avec l'argent. Et ça,
en fait, il l'avait
déjà montré dans le camp de réfugiés.
Dans un camp de réfugiés,
t'es tellement dans des situations extrêmes,
extrêmes en...
mon Dieu, pas seulement
financiers, mais
un extrême dans tout,
dans les sensations, dans les sentiments,
dans les émotions et tout ça.
Donc, on devient animal très vite.
On oublie toutes les inhibitions sociales.
Et on devient très féroce dans ces contextes-là.
Oublie la moralité, oublie tout ça.
Ça s'en va dans le poubelle.
Et mes parents nous ont gardés dans la ligne.
Jamais.
On se vend pour quoi que ce soit.
Il n'y a personne qui peut t'acheter
pour quoi que ce soit.
Tes valeurs sont...
doivent être toujours protégées.
OK? Et donc,
je te parle de cette période de honte,
mais c'est peut-être normal
pour une ado de se sentir honteuse.
Je pense que oui. Je pense qu'on a... En tout cas, nos parents, c'est pas-être normal pour une ado de se sentir honteuse. Je pense que oui.
Je pense que nos parents,
ce n'est pas nécessairement nos idoles non plus.
Pas tout de suite, pendant cette période-là.
Pendant cette période-là, c'est que ça revient,
mais il y a quand même un bout
où on veut se dissocier, se distinguer,
puis on veut ressembler à nos amis.
Comme ça, on ne veut pas tant ressembler
à notre famille, mais nos amis.
Et toi, la ligne qu'il y avait à compléter,
ça faisait ta distinction
parce que tu n'avais rien à écrire sur cette ligne-là.
Oui. Et donc,
ça ne durait pas si longtemps.
Sauf que pendant tout mon
secondaire, par contre, j'étais
invisible à l'école.
Complètement. Je n'étais même pas
intimidée. On ne me voyait pas.
À cause de ça. Et donc, c'est peut-être une période
qui m'a construite beaucoup
ou qui m'a fait travailler, si tu veux,
de dire, bien, je n'ai pas le choix de...
Je n'ai pas accès au monde externe, au extérieur,
donc je dois me construire un monde intérieur.
Et ce monde intérieur-là, probablement,
est la base de l'écriture.
Tu vois, parce que j'étais à la table,
à la cafétéria, où personne
nous voyait.
On passait à côté, puis c'est comme si
j'étais pas là. Alors que t'observais.
Oui. Et encore
aujourd'hui, tu sais, en dehors du Québec,
je te dirais, je suis assez invisible, là.
Tu sais, il y avait...
J'étais très étonnée, à un moment donné, j'étais en Suède
puis quelqu'un m'a reconnue dans la rue
je me suis dit, ben voyons donc
mais bon, enfin
et juste là, à Halifax
j'étais complètement
invisible, il y avait deux
deux caissiers dans un café
puis ils servaient les autres
et mon chum
qui était à cinq pieds de la caisse il disaient les autres et mon chum, qui était à cinq pieds
de la caisse, il disait bonjour à mon
chum alors que je suis devant.
Il me voyait pas.
Et quelque part, j'aime beaucoup
cette période-là d'être invisible.
C'est comme un pouvoir.
Parce que pendant que t'es invisible, tu voyais
la réaction de tout le monde, comment les gens
interagissent.
T'es pas dans l'action, t'es à l'extérieur.
Puis est-ce que tu te souviens au moment où
ça t'a plus dérangé
que tes parents n'aient pas
la même vie que les autres parents?
Ça a été très vite.
Je te dirais, ça a duré peut-être
une année au début.
Mais ça t'a quand même marqué.
Ah, mais c'est sûr, c'est sûr.
Mais à l'époque, je savais pas que c'était normal.
Tu sais, mon fils,
il n'a pas voulu que j'aille à son école, là, tu sais.
Au secondaire.
Parce qu'il ne voulait pas,
parce que tu es une mère,
parce qu'on te connaît,
il ne voulait pas vivre ça, là.
Non, parce qu'avant, tu sais,
je suis invitée dans des classes de français, là, tu sais, parce qu'ils faisaient lire rue pas vivre ça. Non, parce qu'avant, je suis invitée dans des classes de français.
Parce qu'ils faisaient lire rue et tout ça.
Dès qu'il a commencé, je ne suis plus allée.
Je ne voulais pas non plus.
Tu vois, il y a toutes sortes de raisons.
On veut toujours se dissocier.
Des parents.
Des parents.
Parce qu'en y allant, en étant une mère connue,
ça fait aussi que lui...
Il n'a pas sa place.
Après ça, il est associé à toi.
Il perd une partie de son identité.
Mais oui, il faut qu'il se construise, n'est-ce pas?
Donc, j'étais d'accord avec lui qu'il ne fallait pas que j'y aille.
Mais ça parle beaucoup, ce qu'on est en train de dire,
par rapport à cette période-là
où on essaie de se connaître
puis on ne veut pas d'interférences.
Exactement.
Moi, je mets tout ça sur le dos
de l'immigration.
Mais peut-être que tous les ados le vivent.
Moi, je pense que oui.
J'avais peut-être un double problème.
Pas le problème même.
En plus, c'est sûr que quand tu arrives
à un nouvel endroit,
tu ne dois pas déjà avoir la même confiance.
Il doit déjà avoir un doute d'installer.
C'est sûr.
Il y a quelque chose de...
Tu ne ressembles à personne.
Il y a une plus grande vulnérabilité.
À mon école, on était trois Asiatiques en tout.
Déjà, tu as la différence qui est physique,
donc on voit en premier.
Si tu as un doute, c'est déjà beaucoup.
Tu as envie que tout le reste soit pareil.
Exact. Ton français est
à peu près.
Tu sais, tu n'es pas bonne en sport
parce que tu es petite.
Tout est contre toi,
d'une certaine manière.
C'est fou, cette période-là.
Quand même, on pourrait parler à n'importe qui qu' période-là, quand même.
On pourrait faire,
parler à n'importe qui qu'on arrête sur la rue.
Si on parle d'adolescence,
on va arriver à quelque part.
On va arriver à une zone plus vulnérable,
une zone de fragilité,
une zone où souvent on ne s'aimait pas non plus.
On ne se connaissait pas. On est-tu des enfants?
On est-tu des adultes?
Moi, j'ai trois enfants,
puis celui du milieu, je vais toujours me souvenir des fois,
quand il était avec sa plus grande soeur,
quand il était ado, il devenait comme un jeune adulte.
Puis quand il était avec sa plus petite soeur,
il jouait à toutes sortes de jeux, il l'accompagnait.
Je voyais comme les deux personnalités
très distinctes en lui,
mais en essayant de trouver son milieu dans tout ça.
C'est ça, c'est ça.
Puis c'est compliqué, parce qu'il s'est trouvé son milieu dans tout ça. C'est ça, c'est ça. Puis c'est compliqué.
Parce qu'elle s'est trouvée l'équilibre.
C'est dur.
Mais c'est ce qui nous construit.
Absolument.
On passe pas par là.
Souvent, j'ai pas fait de crise
d'adolescence. J'avais pas
le privilège de le faire.
On était en instinct de survie.
On se reconstruit.
On reconstruit notre vie et tout ça.
Donc, oublie les crises d'adolescence.
Et donc, je me dis,
si ce n'est pas maintenant que je le fais, ma crise,
tu as plus de moyens.
Les crises sont plus grosses.
Tu fais ta crise de la cinquantaine?
Oui!
Elle a l'air bien heureuse, cette crise.
Tu m'en donnes seulement une dans les mots
c'est les questions hypothétiques
on en a parlé
mais je vais quand même te la poser
tu meurs demain, est-ce que tu pars en paix?
complètement
parce que je ne suis pas supposée
d'être ici
le bateau il s'est défait 15 minutes après qu'on a débarqué
du bateau
et il s'est défait devant nos yeux, englouti dans la mer.
Devant tes yeux.
C'était grand comment, ton bateau?
10 mètres de long, on était 218 personnes.
En tout cas, on était nombreux, disons.
Heureusement, les Vietnamiens, on est plus petits.
Non, tu peux en mettre plus.
Mais vous avez vu le bateau?
Oui, parce qu'il y a une pluie qui est descendue
puis les vagues étaient un peu plus grosses.
Une pluie normale, mais la mer était un petit peu plus mouvementée
et les planches ont sauté.
Toc, toc, toc.
Parce que le bateau n'était pas fait pour être en haute mer, si tu veux.
Et donc, on a eu la chance d'avoir
améri avant que la pluie tombe.
Mais t'es encore sur la plage,
tu viens de débarquer, ton linge
est encore mouillé,
et tu vois le bateau partir.
Donc, tu sais que 15 minutes
de plus, je serais pas
ici avec toi.
Donc, tout ce qui vient après,
c'est un bonus.
Et comme je t'avais dit tout à l'heure,
on avait déjà accepté la mort.
Avec les pilules de cyanure.
Oui. Donc, je suis...
Je suis déjà après la mort,
si tu veux. Je vis déjà
ma deuxième vie.
Donc, il y a pas de...
Je veux dire, c'est ça.
Tout ça, c'est du bonus.
C'est du temps en surplus que j'ai.
Je ne suis pas supposée d'être là.
Et donc, la paix, on l'a faite déjà dans le bateau.
On a déjà accepté cette mort.
Est-ce que c'est la base de cette liberté-là?
Oui.
Oui, tout à fait.
Et tu sais que tout est éphémère.
Oui, on se le répète,
quand on n'a pas eu la chance,
et je dis chance ici,
d'être très proche,
d'être intimement lié à cette fin-là,
on peut juste le faire de façon théorique,
de façon intellectuelle,
mais pas dans les pores de ta peau,
dans les guts, comme on dit, dans les tripes.
Dans les tripes, tu vis ta faim.
Ta faim est devant toi, là.
Et donc, la liberté,
je ne sais pas si c'est la liberté de l'éphémère ou pas,
mais probablement que cet éphémère-là,
cette notion de l'éphémère, te donne la liberté,
te donne l'humilité.
Tu n'as pas à travailler pour l'avoir.
Pour toi, par exemple,
disons que tu n'as jamais vécu de situation très violente ou grave,
je ne sais pas, je te dis ça comme ça.
Si on n'a pas vécu ça,
on doit travailler sur soi pour
se répéter que la vie peut
s'arrêter n'importe quand.
Moi, je le sais.
Je n'ai pas à travailler,
donc je l'ai facile.
Tu l'as compris rapidement dans ta vie. En fait, tu l'as ressenti.
Bien oui, puis c'est facile.
À partir de là, tu n'as pas à travailler rien.
Tu sais, je te le dis, je l'as ressenti. Bien oui, puis c'est facile. À partir de là, tu n'as pas à travailler rien. Tu sais, je te le dis,
je l'ai en bonus.
Alors que tout le monde doit réfléchir,
méditer, aller travailler.
Toi, est-ce que tu médites?
Bien non, je n'ai pas le temps.
On pourrait penser que tu es tellement sage,
mais comme tu dis, ça vient de là.
Ça vient de cette ligne mince entre la vie et la mort.
Et tu es restée du côté de la vie.
Puis aussi, je te dirais, on a déjà vécu
dans un monde au milieu,
ni avec les morts, ni avec les vivants.
Dans un camp de réfugiés, tu n'es pas mort,
mais tu n'es pas vivant
non plus. Dans le sens
où vivant, t'as une identité,
t'as un territoire, t'es rattaché
à quelque part, à quelqu'un.
Dans un camp, t'es pas rattaché
à aucun territoire. C'est un
nomad's land. C'est un
coin près d'une
forêt prêtée par un
pays près d'une forêt prêtée par un pays,
près d'une forêt, n'importe où,
mais un espace prêté au commissariat des réfugiés.
Tu sais, c'est éphémère.
Pas seulement que ce camp-là est éphémère pendant que tu es là.
Non, à tout moment, un camion pourrait arriver et dire tout le monde dans le camion,
on vous transfère ailleurs.
Tu ne sais pas quand.
Tu sais juste qu'il y a un camion qui vient.
On ne donne pas de préavis, rien,
parce que tu n'as rien à ramasser de toute façon.
Tu fais juste monter dans le camion.
Donc, tu sais que même là où tu es,
c'est éphémère, d'avance.
Tu n'as pas d'identité.
Parce que tu dois délaisser toute ton identité,
ta nationalité, tout ça, quand tu t'enfuis.
Non, tu n'es plus vivant.
Tu peux disparaître,
puis il n'y a personne qui va savoir.
Personne ne va chercher.
Non.
Mais tu n'es pas mort.
Parce que tu respires encore.
Tu dois encore te nourrir.
Tu dois encore être esclave de ton corps.
OK?
Qui est exigeant.
Qui est exigeant. Parce qu'il cherche une place
où faire ses besoins. Juste ça.
C'est aussi niaiseux que ça.
Tu dois encore te gratter parce que les insectes
te démangent, parce que t'as des poux dans les cheveux.
Ton corps t'inflige
plein de supplices.
T'es même pas mort.
T'es esclave de ton corps.
C'est fou, là.
Et donc, t'es comme entre les deux.
Comme ça.
Pendant longtemps.
Et quand t'es entre les deux pendant longtemps,
bien, tu disparais.
Tu disparais envers toi-même.
Tu n'es plus là.
Tu es un mécanisme de défense.
Oui.
Tu trouves comme un espace
où la douleur est moins ressentie,
où on ne l'a pas vécue,
comme tu dis.
On court toute sa vie pour essayer
de comprendre peut-être le sens
de ce que toi, tu as vécu.
On ne peut pas le ressentir.
C'est ça. C'est pas dans les primes.
Fait que toi, c'est sûr qu'une fois que t'as connu ça,
t'apprécies tout le reste.
C'est ça. Aujourd'hui, quand je vais,
je ressens juste un frisson, je suis contente.
Je te jure.
Je suis comme, mon Dieu, j'ai un frisson.
Dernière question, Kim.
Est-ce que la petite Kim serait fière
de la femme que tu es?
– Fière ne fait pas partie
du vocabulaire
ni de mon chême de pensée.
Je ne sais pas pourquoi on serait...
Je ne comprends pas cette question-là.
– Dans le sens que si la petite Kim,
d'où elle est partie,
dans tout ce que tu viens de raconter, te regardait aujourd'hui, est-ce que cette petite Kim, d'où elle est partie, dans tout ce que tu viens de raconter,
te regardait aujourd'hui,
est-ce que cette petite Kim-là aurait pu croire
que la grande Kim serait là où elle est?
Non.
Même moi, la grande Kim qui me regarde pour demain,
je ne croirais pas.
C'est fier dans ce sens-là.
Dans le sens de, on part de là, on se recrée une vie.
Je ne veux pas refaire ton histoire,
mais tu pars de loin pour te recréer
et en plus, on te connaît,
on te reconnaît.
Ton œuvre est connue internationalement.
Tu es une maman extraordinaire.
Tout ce que tu as raconté,
je veux dire, on peut encore parler.
On aurait pu refaire un autre jeu au complet.
Mais est-ce que cette petite-là
qui est arrivée ici avec des doutes,
avec peut-être une incompréhension
du fonctionnement, après ça, de voir
qu'il y a des différences, fière
dans ce sens-là, c'est-à-dire que j'ai tout parcouru ça
et j'ai...
Je te dirais
je suis soulagée.
Pas fière. Soulagée. Pas fière.
Soulagée.
Soulagée de ne pas avoir gaspillé tout ce qu'on m'a offert.
OK?
On m'a offert la liberté ici.
On m'a offert l'éducation.
On m'a offert l'affection pure,
comme je dis, le premier moment.
Cet amour
pur. – Sans échange.
– Sans échange, sans attendre.
Et j'ai l'impression que j'ai appris,
j'ai compris ce qu'ils m'ont donné.
Donc, je suis soulagée
que j'ai compris,
que je n'ai pas gaspillé.
Alors, je dirais,
le mot que j'utiliserais, ce serait que
aujourd'hui, à 55 ans, je suis soulagée que je n'ai ce qui me rassure
un peu c'est que
je crois que je
je suis devenue un peu utile
il y a des moments où on me
rappelle que ah ce que je fais là est utile
tu sais un livre c'est polluant
c'est du papier c'est tout ça
mais quand tu rencontres quelqu'un qui dit
ah Kim
grâce au livre,
j'ai vécu le deuil de ma mère
plus facilement.
Là, tu te dis, ah, OK, ça justifie
un peu la pollution.
Tu vois ce que je veux dire. Et là, j'ai pris
un avion pour aller à Lisbonne,
pour montrer le film,
et qu'on vienne me témoigner
que, ah,
je me souviens de cette femme d'origine syrienne
qui m'a dit, grâce à vous aujourd'hui,
je vais oser dire que le Portugal est mon pays.
Je dis, OK, ça justifie un tout petit peu
toute la pollution que j'ai faite avec l'avion.
Est-ce que j'aurais pu faire ça sur Zoom?
Peut-être.
Mais cette chaleur-là...
Tu n'aurais pas eu cet échange-là.
D'avoir ce câlin-là physique.
Entre nous, probablement, ça a tout changé.
Tu vois.
Et ça a tout changé.
Non, ça a changé son point de vue
sur son pays adoptif.
Et je me dis, à chaque fois que je répète mon arrivée ici au Québec,
mon but, c'est de nous rappeler à nous tous qu'on a été grands,
qu'on a été capables de cette beauté-là, qu'on est capables de cet amour pur.
C'est vrai que ce n'est pas tous les immigrants qui arrivent ici qui ont cette chance-là.
Mais je nous rappelle qu'on est cap arrivent ici qui ont cette chance-là. Mais je nous rappelle qu'on est capable
d'offrir cette chance-là.
En tant qu'humain,
on est capable d'être grandiose.
Et je suis là pour témoigner de l'impact
de ce geste grandiose,
qui semblait très simple à l'époque.
C'est un câlin.
Mais imagine, 45 ans plus tard, c'est un câlin. Mais imagine,
45 ans plus tard,
c'est ce que je suis devenue, grâce
à ce moment-là.
Une demi-seconde
de temps.
Mais il faut que ça vienne de ce cœur
pur. Et on est ça.
On est pur.
Très souvent,
c'est ce que je reproche à nous, les Québéès souvent, c'est ce que je reproche
à nous, les Québécois,
c'est non. Moi, je
m'exclus de ça parce que je me sens
très fière et je me
vante de qui nous sommes.
C'est d'avoir cette pureté-là.
Mais normalement, on nous
dit toujours, on se dit, oh, on est
simple. Non, on n'est pas
simple. On est pur. Et pur, c'est différent que simple. Non, on n'est pas simple. On est pur.
Et pur, c'est différent que simple.
Tellement, tellement, c'est vrai.
Une eau pure, c'est difficile d'y atteindre.
Une eau qui ne goûte pas le chlore,
qui ne goûte pas ci, qui ne goûte pas ça,
c'est très difficile.
Une eau pure.
Je veux qu'on change de perspective.
Qu'on se voit à quel
point on est beau.
Parce que si on ne se voit pas, on ne se protège pas.
On ne protège pas cette beauté-là.
On n'en crée pas. Donc,
je veux, et
peut-être que je suis devenue militante
en ce sens-là, de dire
« Come on, on
doit se reconnaître. On doit
se voir grand. Parce qu'on
est grand. Et on est capable d'être
grand. Sinon, on le fait pas. »
Donc, il faut le croire quand on se le dit.
Oui. Et faire confiance
à mon regard. Oui.
Tu vois, on est revenu beaucoup à ça, la confiance
du regard de l'autre.
Oui. Puis ça donne un sens à être ensemble aussi.
Oui. Parce que c'est
quand on est en contact avec l'autre
qu'on grandit.
On grandit tellement.
Avec mon chum, si j'ai une phrase
à utiliser pour nous décrire,
c'est « Avec toi, je suis moi ».
Puis c'est ça. On est capable
d'être ça
les Québécois qui m'ont reçu
avec eux je suis devenue moi
ils m'ont dit
montre nous comment tu manges
comment tu coupes ta carotte à la vietnamienne
en coupant une petite fleur
ils étaient bien impressionnés de ma petite fleur de carotte
mais
d'avoir cette curiosité là
et moi de l'autre côté de vouloir aller n'importe où.
Peu importe où ils nous emmenaient, on y allait.
Puis je l'ai souvent raconté, mais c'est vrai, c'est tellement drôle.
Le camping.
Ils nous ont emmenés au camping, les enfants.
Et au retour du camping, mes parents nous ont demandé
c'était quoi le camping.
Puis là, c'est comme le camp de réfugiés.
C'est comme dormir dans une tente.
Pas d'eau, pas de feu, rien.
Pas de toilette.
Là, mes parents ont dit, tu vois,
on est arrivé dans le meilleur pays au monde.
Ici, là, c'est tellement confortable
que les gens cherchent des situations
où ils peuvent s'infliger de l'inconfort.
C'est-tu extraordinaire, quand même?
On est fous de même.
On a l'eau qui sort du robinet.
Non, non, non. On veut aller dans
une place où il n'y a pas d'eau.
Il faut qu'on apporte
nos petites bouteilles.
Non, on ne dort pas sur le matelas trop moelleux.
Non, non. Dans un sac
de couchage avec des petites roches dans le dos.
C'est quoi ça?
Que c'est drôle ça.
Tu vois?
Que c'est drôle.
C'est encore ta vision, tes deux visions.
Oui.
Qui te font dire ça.
Oui.
C'est de l'observation.
Oui.
Puis en même temps, c'est tellement vrai.
Oui.
Puis là, tu apprécies ton pays encore plus.
Tu te dis, oh mon Dieu, les gens sont tellement confortables.
Donc, on sait qu'on est arrivé dans un lieu.
Je ne sais pas si je crois au paradis,
mais pour moi, le paradis est ici.
Écoute, ça va être le mot de la fin.
Je trouve que le paradis est ici.
Oui, le paradis est ici. Bien oui, le paradis est ici.
On devrait en profiter.
Merci, Kim Thuy.
Merci.
Merci.
C'est vraiment comme une classe de maître.
Oh mon Dieu.
Je l'ai reçu comme ça aujourd'hui en écoutant tes paroles.
Puis je suis sûre que les gens qui nous regardent ou qui nous écoutent
viennent de vivre un voyage avec toi.
On dirait qu'on revisite aussi notre propre vie,
mais tu as une perspective qui est différente.
Tu nous amènes des angles,
des fois des points morts qu'on ne voit pas,
des angles morts.
C'est pour ça que je suis là.
Sinon, ça ne sert à rien de m'avoir.
Non, ça sert.
Merci Kim Thuy, je te souhaite tout ce que tu veux.
Moi, j'aurais aimé
rester 5 heures
je vais te donner le jeu, tu pourras le faire
avec ton amoureux si tu veux
on en fait des affaires
de même, on se questionne
souvent, oui
c'est important, la communication
d'échanger, d'arrêter
de juste ruminer, mais de nommer
ah non, le soir à 1h30 du matin,
on se dit, OK, on va continuer la conversation demain,
parce que là, il est rendu 1h30, il faut se coucher.
– Wow, merci tout le monde.
Merci d'avoir été là, puis encore merci Kim Thuys.
– Merci, merci.
– Cet épisode était présenté par Karine Jonca,
la référence en matière de soins pour la peau au Québec.
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